dimanche 30 janvier 2011
QUELQUES REFLEXIONS SUR LA NOTION DE BIENTRAITANCE
Jean-marie HOBET
Pour introduire mon propos, j’emprunterai un extrait de l’article de Jean-Luc JOLIT : «Pour une éthique de la pratique psychanalytique en institution médico-sociale», paru dans la revue Surgence N° 3 : « le sujet est-il négociable dans l’institution » (Printemps 2009 / Revue de la Libre Association Freudienne).
« Qu’est-ce qu’une institution médico-sociale ? » ou plutôt « Comment la souffrance qui s’y retrouve parfois de façon massive par le regroupement de pathologies est-elle rendue supportable ? », et donc, « Comment peut-on structurer le travail pour pouvoir y donner sens et pouvoir parler véritablement de sujets », ceci du côté des personnes accueillies comme du côté des salariés.
Pour moi, c’est bien là qu’interpelle la notion de bientraitance et sa notion siamoise de maltraitance.
I - Evocation de la notion de bientraitance
1°) Histoire et contexte
La notion de bientraitance est très récente.
Elle s’affilie à d’autres notions plus anciennes, comme la bienfaisance, la bienveillance, l’empathie, la sauvegarde, la protection, etc…
Cette notion a été aussi initiée par les réflexions et recherches sur les maltraitances, à partir de différentes affaires révélées dans des institutions pour personnes handicapées, personnes âgées, personnes lourdement dépendantes, malades ; ainsi que par des recherches parallèles sur le « burn out » ou le harcèlement, par exemple.
Cette notion apparaît dans un contexte de massification des prises en charge de ces personnes fragiles, dépendantes, dans une demande sociale plus importante de création d’établissements d’accueil (foyer de vie, maison de retraite, foyer médicalisé, service de moyen et long séjour, etc…), pour répondre aussi à l’allongement de la durée de vie entraînant une augmentation des dépendances de toutes sortes, suscitant la création de nombreux « services à la personne ».
La construction de cette notion s’est faite aussi dans un contexte de questionnement des institutions sociales, médicales et médico-sociales, par l’introduction dans ces secteurs de caractères issus du secteur privé comme la démarche qualité, la certification, l’évaluation de toute nature, la mise en place de contrats d’objectifs, de moyens, de nouvelles organisations à visée économique (rentabilité et rationalisation) managériale (nouvelle gouvernance), idéologique (on passe d’une relation à un sujet à celle à un usager) théorique (on transforme l’acte éducatif, social, médical, thérapeutique en prestation de service).
Bref, tout un changement contextuel, très profond révélateur, pour moi, d’un changement de l’approche globale de l’homme et de l’humanisme, dans notre relation à l’autre. L’autre devenant, de plus en plus, un dossier, un acte, une maladie, un coût, un symptôme, un cas, une courbe, une évaluation, un étranger, etc…
2°) Hypothèses :
J’émets alors l’hypothèse suivante : plus la « déshumanisation » est à l’œuvre dans nos champs d’intervention professionnelle, plus se développe la notion de bientraitance au travers de la création de codes multiples décrivant les bonnes pratiques, les bonnes conduites, les bons actes et bonnes procédures, les bons critères que nous devons suivre ou utiliser. Tous ces codes se rattachent à une idée d’un bien pensant œcuménique, référé à la déclaration des droits de l’homme, des droits de l’enfant, de telle charte, de telle convention de l’ONU et autres préconisations multiples.
Deuxième hypothèse : pour pallier ce paradoxe, la notion de bientraitance, ainsi développée, aurait aussi comme fonction d’en compenser, réparer, voire transcender les effets « indésirables », comme les maltraitances, par exemple.
3°) Commentaires :
Une telle fonction n’est pas vide de sens, surtout dans l’aspect moral qu’elle véhicule. Pour moi, elle simplifie l’humain et le travail quotidien avec des personnes fragiles et s’appuie sur une approche de l’homme quasi religieuse, idéalisée, hors du commun. Cette approche n’a pas sa place dans un travail éducatif, social et thérapeutique, car elle est réductrice de la complexité de l’homme, de sa souffrance, de ses difficultés.
L’autre raison est que cette fonction ramènerait la question des maltraitances, par exemple, à une dimension individuelle, faisant porter sur les épaules de chaque soignant, chaque personnel, une culpabilité et une responsabilité, qui dégageraient le collectif, la hiérarchie, le social, l’institutionnel, le politique, le financier, etc… de leur part dans celles-ci. Je prétends que les maltraitances ne sont pas qu’une affaire individuelle.
Cette fonction particulière de la notion de bientraitance est donc moralement critiquable, car elle se réfère à une approche de l’homme inadéquate et résume à une culpabilité pécheresse et individuelle la complexité de notre propre rapport aux maltraitances. Sous couvert de bonnes intentions, la notion de bientraitance véhicule aussi une idéologie orientée, sournoise, qui pourrait être la source, elle-même, d’autres maltraitances : « l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions » ?
En effet, s’il suffisait de dire aux hommes la bonne façon de se conduire, il y a belle lurette que nous aurions retrouvé le paradis perdu. Il n’en n’est rien, et c’est en croquant dans la pomme de ses tourments que l’homme a pris sa nature humaine, transgressant ainsi la loi paternelle, divine et totémique.
Pour moi, la bientraitance risque de n’être qu’une espèce de catéchèse pseudo-laïque qui voudrait, dans ses codes-bréviaires, nous faire oublier que nous ne sommes que le fils de l’homme.
Dans notre travail quotidien avec les personnes fragilisées, nous investissons dans une relation humaine, le cœur même de la souffrance, de la monstruosité, de la barbarie, qui nous constitue tous.
C’est dans cette confrontation de tous les jours que s’originent souvent les ferments des maltraitances et autres exactions, car nous sommes là aux limites du supportable. Et pourtant, il s’agit de nous-mêmes.
Nous savons depuis les travaux, entre autres, de G. Swain et M. Gauchet dans « la pratique de l’esprit humain », que le handicapé, le fou, le monstre, sont nos frères d’humanité.
Nous ne sommes pas là aux confins de Dieu, mais aux confins de l’homme, c’est-à-dire, dans ces zones de turbulences existentielles, où, ce n’est pas la question d’où nous venons et où nous allons qui est posée, mais bien celle de qui nous sommes ?
C’est ce que nous affrontons au quotidien dans notre travail d’éducateur avec des personnes handicapées mentales, dépendantes ou fragiles.
La notion de bientraitance est donc moralement sujette à caution, car elle dénie cette complexité de notre humanité et gomme toutes les dimensions sociales et politiques du symptôme de maltraitance. C’est un harcèlement de déresponsabilisation.
En proposant de multiples codes de bonnes conduites, la bientraitance laisse aussi entendre que nous serions rédemptés de nos tourments et exactions maltraitantes, banalement humaines. Mais la rédemption n’évite pas le péché : croire le contraire est une illusion dévastatrice.
Pour conclure ce chapitre, même si la notion de bientraitance est, pour moi, douteuse, elle a cependant le mérite de poser plusieurs questions dont celle de la morale et de l’éthique professionnelles.
Questions dont nous ne pouvons absolument pas nous débarrasser dans notre travail, notre établissement, notre entreprise et notre société.
Ainsi que la question générale de « l’empathie » nécessaire à toute relation humaine et du sens de celle-ci dans un cadre professionnel comme le nôtre, et enfin, la question de ce cadre.
II - NOTION DE BIENTRAITANCE, REALITES QUOTIDIENNES ET PERSPECTIVES
Une notion, une idée, un concept, sont intéressants s’ils enrichissent l’élaboration de notre pensée personnelle et collective.
Dans nos professions, qui s’exercent dans la relation à l’autre, il est indispensable que les institutions, les services, les entreprises qui accueillent cette relation, réfléchissent et mettent en place un certain nombre « d’instances » susceptibles de favoriser au quotidien l’élaboration de cette pensée professionnelle et humaniste et de donner du sens à nos pratiques.
Si la notion de bientraitance ne s’en tenait qu’à une dimension du « bien-faire » individuel et collectif, ou à une gestion des réductions pénuriques des moyens humains, matériels, financiers, ou à une uniformisation rassurante du « bien penser » professionnel ou à une anesthésie de la réflexion par omission de toute critique politique, sociale et conceptuelle, alors, elle ne serait, à coup sûr, qu’un « remake » de ce que nous avons déjà connu dans le passé, et qui a été aussi producteur de maltraitances.
Rappelons-nous les « œuvres de bienfaisance », qui apportaient un « certain soulagement » aux personnes démunies, défavorisées, mais qui ne remettaient pas en cause la structure sociale, souvent principale créatrice et productrice de ces souffrances. Cette bienfaisance s’exerçait par une partie des élites qui faisaient leurs « bonnes œuvres » en toute bonne conscience morale et / ou religieuse.
Pour limiter ces écueils, la notion de bientraitance dans les institutions doit, à mon avis, se coltiner certains aspects.
1°) La matière fait cas :
La rencontre du soignant, de l’éducateur, du personnel avec ces confins de l’homme : le cas Lucien.
Dans l’exercice de mon métier d’éducateur, j’ai côtoyé Lucien au quotidien pendant plusieurs années, il y a vingt ans.
Lucien était un adolescent de petite taille, chétif. Il avait le regard malicieux qui n’en perdait pas une miette.
Il se déplaçait seul, avec quelques difficultés, mais n’était absolument pas autonome dans la vie quotidienne. Il lui arrivait seulement quelquefois de prendre sa fourchette pour manger, ou tirer sur son pull ou sa chemise pour s’en débarrasser. Il ne participait activement à aucune activité, de lui-même.
Il ne parlait pas, sauf quelques cris et bruits divers.
Lucien passait une grande partie de son temps allongé sur le ventre, par terre ou sur un banc, les deux bras écartés, la tête posée dans ses mains, quelques doigts dans sa bouche et d’autres qu’il utilisait pour tirer vers le bas une de ses paupières inférieures, ce qui, en plus de la malice, lui donnait un regard étrange, voire inquiétant.
Ainsi posté, nous ne pouvions pas le « manquer ». Il en a impressionné plus d’un.
Lucien n’était pas propre et portait des couches en permanence.
Il vivait dans son « monde » et, en même temps, il était friand des allées et venues autour de lui. Pour Lucien, ce monde était un cercle d’espace vital, comme celui de l’homme vitruvien, et gare à celui qui y pénétrait sans son « accord » : coups de pied, pincements, tirage de cheveux ou cris jaillissaient alors avec fulgurance.
Les handicaps de Lucien étaient importants et sa prise en charge éducative n’était pas facile tous les jours.
Dans nos premières rencontres, je fus tout de suite confronté au problème de son encoprésie. Quotidiennement, Lucien faisait dans ses couches et nous devions le « changer ». Les premières fois, nettoyer Lucien de ses matières fécales m’évoquait mes enfants en bas âge. Mais Lucien n’était ni mon fils, ni un enfant. Ce que j’avais accepté avec mes enfants devenait difficilement acceptable avec Lucien. Les enjeux de la situation n’étaient pas les mêmes. Cela allait m’entraîner dans des zones d’ombre qui se sont souvent révélées comme le cœur même de mon travail d’éducateur. Car la bientraitance et la maltraitance sont deux aspects monozygotes de la même complexité.
Je passais alors du caca de l’enfant à l’excrément de l’adulte, puis à la merde, puis au déchet. L’odeur de plus en plus forte me collait aux narines et aux mains : je commençais à avoir Lucien dans le nez.
D’autant que lui ne se privait pas de m’en remettre quelques « couches » supplémentaires : par exemple, mettre sa main dans son caca et s’en mettre sur le visage, les murs, la chaise, les vêtements, etc…
Lucien me « faisait chier ». Il avait bien senti chez moi ce désarroi, cette déstabilisation, cette violence, cette répulsion, voire ce dégoût, par moments. Il m’arrivait de l’insulter « gros cochon » et quand j’étais plus en colère, de l’injurier « gros dégueulasse », ou d’appuyer fort avec le gant de toilette, avec l’envie de le fesser. De le laisser attendre dans sa couche quelques instants pour me permettre de me mettre en « condition » ou pour le punir de je ne sais quelle faute qui lui évoquerait un début de culpabilité, de honte, qui aurait adouci mon courroux. Rien. Je m’enfonçais doucement dans cette vision du déchet humain qui mettait à mal mon humanité, l’image de moi-même et mon narcissisme professionnel. Ne serais-je moi-même dans mon métier, qu’un nettoyeur payé par la société pour m’occuper des déchets de l’humain ?
Sous le vocable de déchets de l’humain, chacun y mettra ce qui le concerne : le handicapé, le fou, le SDF, l’arabe, le chômeur, le Rmiste qui achète des écrans plats, l’alcoolo, mais pas l’écolo (qui « traite », lui, les déchets), le cul de jatte, le grabataire, le pervers, notre voisin de palier… Bref, tout ce qui à travers l’étrange de l’autre, cet inconnu, peut opprimer notre sérénité d’existence et faire flamber nos inquiétudes ou notre déraison.
Etre confronté régulièrement, quotidiennement, à cette situation / position / relation de déchet, me renvoyait aussi à un sentiment d’impuissance, d’inutilité désespérant. Alors, la routine, la « mécanisation » et la standardisation relationnelle, le silence, la difficulté de réfléchir, d’aller voir ailleurs, en étaient quelques expressions des effets morbides. A certains moments, l’humour était salvateur et nécessaire pour conserver un sentiment de vivre qui me raccrochait aux autres.
Dans ces moments de solitude professionnelle, les collègues ne sont pas toujours aidants, pris eux-mêmes par leurs difficultés : « ce n’est pas à moi, une femme, d’aller laver Lucien, un jeune homme »… « Tiens, Lucien a fait, mais je dois aller animer mon activité », ou pire, celui ou celle qui ne sent rien, ne voit rien, n’entend rien. C’est terrible, le refus des sens dans ces moments-là. Non sens violent et insupportable !
A d’autres moments, nous en parlions ensemble et cela me réconfortait. Mais j’avais toujours du mal à mettre du sens sur ma relation avec Lucien.
J’étais à la limite du supportable, de l’acceptable avec lui ; et, en même temps, je sentais de manière confuse que si je me laissais aller à de la violence, de la maltraitance avec Lucien, c’était moi-même que je maltraiterais en perdant ma propre dignité de sujet, d’être humain. J’ai quelquefois flirté avec le passage à l’acte.
Et puis, au cours d’un des nombreux échanges en réunion, une collègue me dit : « Mais pourquoi tu te laisses emmerder comme cela par Lucien ? » Cette phrase eut beaucoup de « raisonnance » en moi.
Il a déjà fallu résoudre ma propre culpabilité qui n’a pas manqué de jaillir quand j’ai commencé à penser que je pouvais travailler avec Lucien sans cette abnégation mortifère.
Puis, j’ai dû reconstruire ma relation avec lui : ce n’était plus cette « relation merdique » que nous devions partager, mais nous côtoyer comme des êtres humains.
Je lui ai donc dit : « Lucien, je ne me laisserai plus emmerder par ton problème de propreté, c’est le tien… Par contre, je suis là pour t’aider à le résoudre, notamment en te nettoyant quand je dois le faire. Mais je te rappelle aussi qu’à vingt ans, c’est toi qui devrais t’occuper de ton intimité. A partir d’aujourd’hui, je t’aiderai, mais toi aussi, tu m’aideras. Tu retireras tes habits comme tu peux, tu écarteras tes jambes pour faciliter mon travail avec toi »…
Et, à chaque fois, je lui répétais les mêmes choses : « Dis donc, tu pourrais me dire merci, ou me dire que tu es content, plutôt que de grogner pendant que je m’occupe de toi ». Allez donc savoir ce qu’il en disait dans ses grognements ?
Petit à petit, Lucien a changé aussi sa relation ; il m’aidait. Quelquefois, il venait me chercher par le bras et me diriger vers la salle de bains pour que je m’occupe de lui.
A d’autres moments, il se levait de sa place et venait s’asseoir à côté de moi. Il ne me pinçait plus. Le travail avec Lucien resta dur et compliqué. Mais je crois que lui, comme moi, avons su nous « démerder » avec ce « quelque chose » qui aurait pu nous faire basculer dans une certaine « barbarie ».
Lucien m’a également aidé à ne pas « m’emmerder » dans mon travail, c’est-à-dire, à garder vivace la question du désir et du plaisir indispensables dans notre travail.
Je regrette que, de nos jours, ces deux termes deviennent presque des grossièretés avant de devenir, peut-être, des souvenirs.
Le cas de Lucien est une fenêtre qui témoigne de ce qui est en « je» (en termes de bientraitance / maltraitance) dans notre rencontre avec des personnes handicapées mentales, entre autres.
Chacun de nous a des centaines d’autres exemples vécus dans son expérience professionnelle pour illustrer mon propos.
Une réflexion sur la notion de bientraitance ne peut donc pas faire l’économie de la prise en compte de cette dimension personnelle de nos métiers.
Lucien est parti vers d’autres horizons.
Je garde en mémoire son humanité qui a malmené la mienne pour l’enrichir.
Je me souviens aussi de ce que ma collègue m’a donné ce jour-là dans notre travail d’équipe.
2°) Institution, organisation, entreprise et bientraitance
Dans ce chapitre, ma démarche, à partir de ce qu’évoque le cas Lucien, et de ce qui me reste de mes expériences professionnelles en institution, est de proposer des hypothèses, des questions sur notre sujet. Car, on l’a bien compris, derrière cette notion de bientraitance et de son double, la maltraitance, il s’agit bien de ce qui est essentiel dans notre travail et qui en charpente le contenu : la relation à l’autre.
Un exemple : nous passons actuellement de la personne accueillie, sujet de son histoire, de ses difficultés, de sa vie, de ses prises en charge, à un usager au centre d’un dispositif. C’est-à-dire, du sujet / acteur à un utilisateur / consommateur.
Il me semble que derrière cela, on ne « pense » pas l’homme de la même façon.
Il y a donc des choix à faire ou à réaffirmer. Ce sont les fondations de nos métiers, de nos relations, de nos actions et, par conséquent, de nos organisations.
C’est-à-dire tout ce qui peut déposséder l’individu de lui-même par la soumission à un ordre qui le domine.
Ce sont les questions de liberté, d’autonomie et de responsabilité qui sont posées ici.
b) Niveau théorique et réflexif
Exemples : nous avons, entre autres, à nous situer par rapport à la diffusion massive dans nos secteurs de formation et d’intervention, des théories d’origine anglo-saxonne à dominante comportementaliste, cognitiviste, neurologiste, etc…
Dans un autre secteur, c’est l’entrée en force dans la gestion des établissements et des personnels de théories issues du secteur économique privé, libéral, où la production est essentiellement industrielle, financière, technique, matérielle.
Or, notre secteur produit de « l’humain », de l’humanité, du « soin ».
Ces théories sont-elles adéquates, adaptables à notre « production » si particulière ?
Evolution sémantique ( ?), jamais anodine, et révélatrice des changements dans nos métiers, nos pratiques, mais aussi d’une certaine conception de l’homme et de la société. Je ne citerai que le terme d’USAGER, qui situe la personne à un niveau « d’utilisateur », consumériste et judiciarisé de prestations de services à la personne et à la société. Mais, dans le terme USAGER, on peut aussi entendre USAGE, c’est-à-dire une personne usée, cabossée, inutile et bonne à jeter (comme un déchet). Nous pourrions questionner d’autres termes récents comme « prestations de service », « bonnes pratiques », « centre du dispositif », « inclusion », « compensation du handicap », « personne en situation de handicap dû à une déficience mentale », « l’expertise », « la prise du risque à vivre », « la nouvelle gouvernance », « le débriefing », etc…(termes trouvés de nos jours dans des ecrits professionnels ou des argumentaires de projets)
Par rapport à la simple notion de bientraitance, la qualification et la formation des différents personnels sont indispensables à tout objectif de qualité.
c) Niveau de l’institution, de l’organisation, de l’entreprise
Sans cette garantie, qui est, pour moi, la première fonction de l’institution, la relation à la personne peut dériver vers un rapport au client, au consommateur, à l’opinion publique, à l’adhérent de tout poil, au justiciable, à l’échantillon représentatif, etc…
Comment, en perspective de la notion de bientraitance, peut-on lutter contre ce risque de déshumanisation, de rationalisation quelquefois aveugle ?
Comment la position asymétrique (en termes de savoir, de compétences, de pouvoir, par exemple) de chacun (enfant, adolescent et adulte handicapés, familles, personnels divers, chef d’entreprise, etc…), peut et doit permettre à chaque personne de se positionner et être reconnu comme sujet de lui-même ?
« La bientraitance concerne la personne accueillie, sa famille, le personnel de l’établissement et l’institution elle-même. Pourtant, les personnels ne peuvent être bien traitants que s’ils sont eux-mêmes bien traités ? Le plus souvent, ils savent ce qui devrait être fait, mais ils sont pris en tenaille entre, d’une part, la masse de travail à accomplir et, d’autre part, les contraintes liées au fonctionnement de l’institution. L’objectif d’amélioration de la qualité de vie des personnes âgées accueillies en EHPAD passe donc, dans une optique de bientraitance, par une valorisation du soin tant technique que relationnel. Cela nécessite de développer les formations, de donner du temps de parole et de réflexion aux personnels et reconnaître et valoriser le haut niveau de réflexion de la plupart des soignants ».
(Extrait de : « Les bonnes pratiques de soins en établissement pour personnes âgées dépendantes » Direction Générale de la Santé, Direction Générale de l’Action Sociale, Société Française de Gériatrie et Gérontologie - Octobre 2007)
III - POUR CONCLURE, PROVISOIREMENT
Ce qui nous fédère tous depuis de nombreuses années, c’est un HUMANISME DEMOCRATIQUE.
Notre secteur connaît des changements très importants, voire des bouleversements. Nul doute que l’histoire avance, certains disent même que nous changeons d’époque. Mais, nous avons à lutter pour que ceux-ci ne transforment pas nos valeurs et nos pratiques professionnelles en un seul rôle désincarné de distributeur de prestations de toutes sortes, comme un vulgaire distributeur de canettes de bière, de coca et de chips obésifiantes, comme dernier symbole de notre dignité perdue.
« Nous, professionnels du soin, du travail social, de l’éducation… attirons l’attention… » (extrait de « l’appel des appels » Ed. Mille et une nuits - Novembre 2009).
Jean-marie HOBET - dec 2009 -
maltraitance et harcèlement, les deux mamelles
Dominique
lundi 31 janvier 2011