lundi 20 février 2012
Daniel Pendanx
Quel horizon pour la Justice des mineurs ?
« Mais, de manière générale, c’est à une tâche de distinction que l’exigence démocratique nous affronte. Et cette tâche de distinction n’est pas autre chose que ce qui peut frayer le chemin de la sortie du nihilisme. Le nihilisme, en effet, n’est rien d’autre que l’annulation des distinctions, c’est-à-dire l’annulation des sens ou des valeurs. Sens ou valeur, cela n’a lieu que selon la différence : un sens se distingue d’un autre comme la droite de la gauche ou la vue de l’ouïe, et une valeur est essentiellement inéquivalente à toute autre. » Jean-Luc Nancy, Vérité de la démocratie , Galilée, 2008, p.42
I
La brèche ouverte par la décision récente du Conseil Constitutionnel, rétablissant le juge des enfants dans un statut plus conforme aux grands principes du droit , fait craindre à beaucoup qu’on ne s’achemine vers la fin de l’exception française en matière de protection judiciaire de la jeunesse. La sacro-sainte priorité de « l’éducatif » consacrée par l’ordonnance 45 , puis par la création en 1958 de l’ Assistance éducative en milieu ouvert, se trouverait menacée.
Serions-nous en passe de basculer comme certains l’appréhendent dans le « tout sécuritaire», et de manière concomitante de livrer la protection de l’enfance à l’omnipotence administrative ? Je ne sais, je ne sais trop vers quelles formes plus ou moins hard de la techno-gestion nous pouvons basculer, mais face à cette menace qui pointe, la seule défense du primat de « l’éducatif » – je demande souvent, quel éducatif ? – me paraît bien insuffisante.
Nombre de praticiens continuent d’estimer que la Justice des mineurs ne souffrirait que d’une carence de moyens, et qu’il conviendrait de s’en tenir au seul statu quo. Serait-ce à dire que nous ayons une pensée consistante quant au rôle du juge des enfants, et une politique judiciaire éclairée, anthropologiquement éclairée, quant aux problèmes de la jeunesse et de la famille qui sont portés devant sa juridiction ?
Si j’ai quant à moi une inquiétude c’est qu’en l’état ne se répètent les simplifications et facilités d’usage en la matière, le sempiternel duel entre tenants de solutions idéalement autoritaires d’un côté et tenants de solutions faussement réparatrices de l’autre. Ce que je crains c’est que la réflexion critique n’échoue une fois encore dans ce même rapport (dé-symbolisé) au droit et ce même défaut de vision de la structure en lesquels s’enchaînent depuis des lustres les protagonistes des deux bords.
Il serait pourtant aujourd’hui possible de mettre en cause les présupposés fondateurs – le psycho-juridisme impliqué dans la dite interpénétration du judiciaire et de l’éducatif –, et de se saisir enfin, sous un éclairage renouvelé, du caractère symbolique princeps de la fonction des magistrats de la jeunesse, une fonction clef dans la mise en œuvre institutionnelle de l’Interdit civilisateur.
Pour moi l’essentiel est là : relever en quoi, en regard de la problématique subjective, la vocation clinique du juge des enfants tient à son propre pouvoir juridique, médian et de limite.
C’est ainsi que j’en suis venu peu à peu, construisant dans ma longue pratique des cas le mythe subjectif « parental » qui a présidé, dès l’origine (58), à la dite « AEMO judiciaire », à considérer – sans nullement remettre en cause l’exigence de ne pas devoir traiter des mineurs comme des majeurs ! – la nécessaire coupure à réintroduire dans cette sphère de la Justice des mineurs.
Si nous voulons – mais le voulons-nous vraiment ? – que les juges vaillent comme tiers garants de la Limite qui s’impose à tous, à tout un chacun comme à toute institution, il conviendrait à mon sens, tant au civil qu’au pénal, de les dessaisir de l’Assistance Educative.
La logique de mon propos est simple: les juges des enfants limiteront d’autant mieux les pouvoirs, la « loi » des uns et des autres, s’ils sont eux-mêmes mieux limités, soumis comme des juges ordinaires, que cela plaise ou pas, aux règles et principes généraux du droit. Comment ces magistrats pourraient-ils en effet limiter dans leur pente d’illimité, hors duel, les pouvoirs familiaux et sociaux si eux-mêmes, peu ou prou supplétifs ou enlacés à ces pouvoirs, se retrouvent tenir plusieurs genres de discours, en place souveraine, en grands manitous du réel familial et institutionnel ?
Qu’il soit toutefois clair que si je mets ici en cause le statut et le rôle actuels par trop élargis du juge des enfants, sa supposée « compétence éducative », et la confusion des registres (juridique et non juridique) de la parole qui s’y implique (je vais y revenir), ce n’est pas pour revenir à un vieux juridisme sans horizon clinique, mais bien dans l’idée de faire valoir en quoi, en regard de la problématique subjective de la différenciation (de soi et de l’autre), ces magistrats ont vocation clinique non à réparer ou amender les sujets mais à les ré-instituer à leur place de droit, dans la structure. C’est par là, opérant au plan juridique comme tiers dans la scène du cas, et partant dans la dialectique identificatoire des sujets traités – dialectique interne (intrapsychique) du désir (du désir inconscient) et de la loi (la loi du déterminisme langagier) – que l’office du juge prend le meilleur effet clinique.
Mon propos est d’essayer de faire valoir pourquoi, du point de vue même de la clinique (de son cadre), il conviendrait de se dégager de cet anti-juridisme qui depuis l’après-guerre verrouille la réflexion sur le statut du juge des enfants. Ce qui ne sera possible tant que nous demeurerons dans cette conception instrumentale et administrative rétrécie du droit qui est celle, très objectiviste, ou inversement, comme il en fut par exemple chez Bourdieu, quasi magique, de ce psycho-sociologisme à la remorque duquel nos milieux (négligeant maintes observations critiques de Lacan à l’endroit de la sociologie environnementale et du psychologisme ) se trouvent toujours placés.
Au plan théorique, reconnaître qu’ en sa structure de langage et de fiction le droit, participant de l’architecture symbolique institutionnelle tant du sujet que du social, «structure le monde réel», – fait entrevu par Lacan , et déployé par Legendre –, devrait conduire les cliniciens à prendre acte de l’efficience symbolique spécifique du juge dans la scène du cas : une efficience qui opère à hauteur de la propre efficience symbolique de l’analyste, mais sur un autre plan (le plan juridique) du traitement du transfert.
En regard de la dialectique identificatoire subjective, constitutive du sujet, – dialectique entre la logique du fantasme, des identifications inconscientes (où l’un peut être l’autre) et la logique symbolique du tiers exclu – il y a deux plans distincts mais symboliquement égaux, articulés l’un l’autre, du traitement du transfert. Cela reste incompris, et les psy qui interviennent comme « superviseurs » dans le champ judiciaire et du travail social ont le plus grand mal à s’extraire de cette espèce de position de surplomb, de prétention au monopole symbolique, que je ne cesse de lire sous leurs plumes. Comme si le discours analytique était le seul discours noble…, et l’identification au psychanalyste – à ne pas confondre avec l’identification du psychanalyste –la seule issue noble de la cure…
Le pouvoir médian clinique du juge tient à sa capacité à faire jouer en droit dans la scène du cas la marque juridique (langagière, structurale) de la différenciation, de la distinction : soit la limite et l’ écar t entre les places, entre les plans du fait et du fantasme, comme entre les registres distincts (juridique et non juridique) de la parole.
Je dis médian car le juge-interprète ne fait pas la loi, mais est médiateur de la relation du sujet à la Loi. Et je dis clinique car son exercice, manœuvrant les représentations fondatrices de l’identité (le rapport imaginaire à l’Absolu, à la toute-puissance), prend effet sur le cours de la différenciation subjective, le procès de l’identification des sujets traités.
Occulter ce qu’il en est de cette fonction symbolique du juge (en regard de l’ autre scène du sujet et du social) conduit, à des degrés divers, à faire de cette fonction une caisse enregistreuse de discours extérieurs au droit. Et cela en la réduisant à une seule fonction de régulation des comportements individuels et sociaux.
Nous sommes, quant à cet abord de la fonction symbolique du juge , loin du compte ; et nous fermons les yeux sur les dérives familialistes d’une juridiction des mineurs trop souvent déroutée de sa tâche juridique princeps.
Au niveau politique, dans les instances de formation, dans les cercles psychanalytiques les mieux inspirés, nul paraît en effet s’informer et prendre acte (1) du rôle symbolique clef du droit dans l’institution du sujet , et (2) de la fonction de cheville du juge dans l’architecture institutionnelle, le cadre de la clinique. Ce qui ne rend guère possible de repérer, pour ce qu’elles sont, les chausse-trappes et impasses de cette juridiction.
Aussi plutôt que de s’arcbouter sur la défense du statu quo je propose, même si aujourd’hui dans un certain désert, de revisiter tout autrement le rôle jusqu’alors dévolu aux Juges des enfants, aux fins de repenser ce rôle dans une autre perspective que celle, familialiste, comportementaliste ou subjectiviste, qui prédomine. Cette réorientation de la réflexion impliquerait toutefois également de comprendre, comme le rappelait Daniel Boulet dans une Conférence à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (Bordeaux, 2007), « que ce sont les conséquences de la décomposition en amont du droit civil de la filiation et de l’autorité parentale qui sont traitées, en aval, par les juridictions de la jeunesse et les instances qui prennent en charge les mineurs délinquants et en danger, leurs familles ».
Je sais le poids actuel de la dérive techno-scientiste, gestionnaire, mais je sais aussi, et c’est une dimension sur laquelle je cherche à attirer ici l’attention des cliniciens, combien les travers subjectivistes contenus dans la dite interpénétration du juridique et de l’éducatif consacrée par l’Assistance éducative ont fait le lit de cette dérive. J’ai appris, au plus près des cas, dans mon propre exercice d’interprète, combien les discours professionnels, occultant leur propre indice normatif , peuvent justifier des agis qui, au défaut même d’une clinique nouée à la problématique de la Loi, outrepassent le cadre de la castration symbolique. Les passages à l’acte professionnels sont toujours engagés sous couvert d’un juridisme, mais d’un juridisme sauvage – un juridisme qui au final, au sein même de la sphère judiciaire, neutralise l’office tiers et de limite des juges.
II
Les juges seraient-ils dans notre société dépositaires de l’éducatif ? Quel éducatif ? Comment ne pas s’inquiéter sous ce vocable si générique du champ laissé libre, derrière le positivisme déclaré, aux affects, projections et fantasmes les plus divers, au subjectivisme et au comportementalisme, à tous ces juridismes pour le moins si incertains et si mal délimités ?
Ce désir si puissant « d’éduquer » fut relevé par Foucault en 1975 dans Surveiller et punir : « Il apparaît un furieux désir chez les juges de jauger, d’apprécier, de diagnostiquer, de reconnaître le normal de l’anormal ; et l’honneur revendiqué de guérir ou de réadapter . » ; ou bien encore : « La pénalité moderne n’ose plus dire qu’elle punit des crimes ; elle prétend réadapter les délinquants» , et pour cela ajoutait-il, « elle voisine et cousine avec les sciences humaines ». (Gallimard, 1975, p.311, et 4 ème de couverture)
Les juges des enfants n’auraient-ils ainsi d’autre vocation que de chercher à amender, réparer ou intimider les sujets traités (les jeunes et leurs familles), que de les réprimer ou les soumettre au juridisme éducatif, thérapeutique, des uns et des autres ?
Pour ce juge ne s’agirait-il pas d’abord d’être, comme en toute fonction, institutionnellement référé, divisé du Pouvoir, de la Référence, autrement dit d’être lui aussi juridiquement ramené à sa propre castration institutionnelle ?
Cette séparation des pouvoirs et des ordres de compétence ne serait-elle pas la condition politique pour que le juge – praticien de l’écart, comme le met si bien en scène, et quelque ironie, la fable de La Fontaine, L’âne qui portait des reliques – élabore et soutienne dans ses actes et jurisprudences ses propres limites de discours dans le champ institutionnel de la parole ?
Nous avons le plus grand mal aujourd’hui à admettre la portée d’humanisation de cette division (Legendre), le fait que cette division des compétences et des discours, – pour faire valoir l’espace vide, l’écart, le lieu de l’absence, autrement dit le Négatif –, est la clef de la symbolisation, c’est-à-dire la condition offerte au sujet pour se différencier et s’humaniser. Nous avons le plus grand mal à saisir que la séparation et la distinction des pouvoirs, des places institutionnelles, impliquées dans les principes généraux de notre droit, fait du juge un praticien de l’écart, de la limite, de la distinction, de la séparation.
Dégagés de la doxa commune quelques magistrats, dont la réflexion reste tenue à la lisière par ceux qui mènent le bal, ont porté ces dernières décennies un regard critique sur notre chère «exception française».
Parmi ceux-là, Daniel Boulet, après une longue expérience de juge des enfants à Bordeaux, a été un des premiers, sinon le premier, à indiquer dès 1989 dans son Bilan critique de la protection de la sauvegarde de l’enfance combien la personnalisation familialiste de la fonction du juge des enfants a «vulgarisé une modalité d’exercice de la fonction judiciaire qui tend au refoulement de la problématique généalogique et à la dé-légitimation de l’ordre symbolique des places. » (Archives Aquitaine de Recherche sur le Social, n°spécial 1989-1990, pp.85-86).
Hélène Cazeaux-Charles, elle aussi ancien juge des enfants, soulignait à son tour en 2003, dans une intervention auprès de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, l’exigence et le sens de l’écart à faire valoir: « Reconnaître la nécessité d’un écart structurel entre les fonctions de juge des enfants ou du tribunal pour enfants et les services éducatifs suppose que l’on ait définitivement renoncé à croire que le droit est une technique de régulation sociale, légitimant, ainsi conçu, ce qu’il faut bien qualifier de dérive comportementaliste de l’action judiciaire et éducative. Conçu autrement, c’est-à-dire comme un discours porteur de fictions inscrites dans un montage agençant les places, réglant les fonctions, distribuant les rôles, le droit oblige à la mise en œuvre de pratiques professionnelle mettant en scène, chacune pour le compte de leur acteur, la rencontre des sujets humains avec la dimension de l’indisponible. » (Documents internes, P.J.J., 2003)
Antoine Garapon, dans un essai sur la Justice des mineur, avait de son côté noté combien cette sphère restait prisonnière de la «confusion des pouvoirs (concentration dans un même homme), des matières (civile et pénale), des temps (instruction, jugement et exécution) et des savoirs (psychologie et droit) ». Ce qui l’amenait alors à envisager «une nouvelle conception de l’intervention judiciaire »… « Il s’agirait bien davantage pour le juge des enfants, écrivait-il alors, d’organiser et de garantir une certaine procédure… plutôt que d’intervenir dans le réel (familial, social ou économique). » ( La justice des mineurs. Evolution d’un modèle . Paris, LGDJ, 1995. La Pensée Juridique Moderne).
Toutes ces remarques critiques, échappant aux facilités du clivage idéologique habituel, ont été jusqu’à ce jour tenues à la lisière, tant dans les milieux juridiques que les milieux psy, éducatifs. Il est vrai qu’elles nous éloignent des présupposés des fondateurs.
Pour ceux-là, a contrario d’un dit droit-sanction , posé comme étranger au sujet, le «nouveau droit de l’assistance éducative » devait en effet être un « droit-remède… centré sur la personne et la relation humaine… et fondé sur l’objectivité des sciences humaines » . Le juge des enfants devait être un juge aimant et aimé ; je cite : « Voici un juge non seulement accepté, mais aimé des justiciables. Le fait, si peu croyable, n’a rien de miraculeux: l’institution nouvelle plonge ses racines dans les profondeurs de la réalité humaine qui, confusément, l’attendait et qui se reconnaît enfin en elle » . Figure d’ un juge secourable et fraternel, ce juge devint le pôle idéalisé de tous les transferts … Grâce à la nouvelle juridiction de l’Assistance éducative l’élément de conflit paraissait susceptible d’être éliminé ; la justice des mineurs allait échapper à cette sorte de loi de la pesanteur qu’est en droit classique, le principe d’imputation.
Mais convertir la sphère de la justice des mineurs en une sphère d’éducation morale et d’aide ne se pouvait sans la désarrimer pour partie de la sphère de la justice solennelle, sans abroger et subvertir certaines des sauvegardes habituelles du droit classique.
Le Doyen Carbonnier, préfaçant l’ouvrage d’Antoine Garapon sur le rituel judiciaire, en perçut tous les risques : « …c’est à la justice d’Etat que l’on demande de se dégager des rites pour se faire plus intime et moins intimidante. Une justice familière, familiale, désir éternel. La Révolution l’avait eue, et notre époque a essayé de l’accomplir avec ce type d’audience dont elle fait bénéficier les adolescents en mal de déviance et les ménages en mal de divorce, l’audience du cabinet. C’est une audience sans auditoire, partant sans contrôle. M. Garapon ne fait pas mystère de sa méfiance : les formes – par l’attrait du spectacle, j’imagine, et par l’impression laissée sur la mémoire – auraient procuré au procès une publicité étendue et durable ; leur suppression crée une clandestinité qui, pour la liberté individuelle, est un péril. Mais, encore plus peut-être que le secret, c’est l’affectivité du colloque singulier que l’on peut redouter. Sans l’écran d’un rituel, l’immediatezza du juge (pour faire un emprunt à l’italien des processualiste ) incite à une justice paternaliste – ne vaudrait-il pas mieux aujourd’hui dire « maternante » ? – qui ramène les justiciables à l’état d’enfance. Les débordements d’une justice trop chaleureuse font naître la nostalgie d’un droit froid, des lois de glace. » .
Ces remarques n’ont pas suffi à ouvrir la brèche. La plupart de ceux qui prétendent orienter les pratiques, tant du côté des juges que du côté psycho-éducatif, verrouillant les instances de formation (à quelques rares ouvertures près), ont continué de justifier aux motifs divers de l’Educatif ou du Soin, l’imperium prêté aux magistrats de la jeunesse, comme si ces juges n’avaient affaire qu’à des enfants...
Continuant à souscrire sans discernement à l’irréfragable motif de l’éducatif, en donnant corps et puissance à la fonction de guidance du magistrat, la Justice des mineurs s’est enkystée dans le psycho-juridisme, soit dans cette indistinction du plan juridique et du plan non juridique de la parole , avec pour conséquence directe d’inclure la figure du juge dans le mythe institutionnel unaire aujourd’hui de plus en plus prévalent, celui, homo-sexué, des parents combinés .
Faudrait-il alors s’étonner, quand des magistrats sont entraînés à s’identifier à des éducateurs, des thérapeutes, qu’en retour ceux-là, spécialistes et autres experts de la gestion des cas, tendent à s’emparer, sous les termes d’un juridisme masqué, de la place du juge ?
Ne serions nous pas ici aussi dans cette configuration relevée par Catherine Labrusse-Riou, où des discours extérieurs au droit, « perdant leurs frontières ou leur autorité, privent le droit de la possibilité de s’imposer aux technostructures ou aux pouvoirs individuels devenus sans limites efficientes et l’obligent soit à suivre soit à s’éclipser » ?
Donnons, pour le lecteur peu au fait des pratiques et usages, un exemple commun, pris parmi tant d’autres du même acabit : un juge des enfants dit à tel père ou telle mère, à tel service éducatif, parce que cela lui passe tout à coup à l’esprit lors d’une audience, et parce qu’il croit naturellement que c’est là « l’intérêt de l’enfant », que cet enfant dont il est question « doit » l’été qui vient aller en colonies de vacances … Qu’est-ce qu’il en sait, qu’est-ce que nous en savons ? Mais surtout : quel est le statut, juridique ou non juridique, de ce dire « éducatif » du magistrat, prononcé de sa place de juge ? Le plus souvent un tel dire est retenu par les travailleurs sociaux, et parfois par le magistrat lui-même, comme un dire dogmatique, un dire qui « dit la loi »…
Derrière un exemple si banal (il y en a de bien moins innocents, que je laisse ici de côté) s’engage une position subjective souveraine, dont les limites sont pour le moins floues, embrouillées…
Comment dans un tel contexte les uns et les autres ne prendraient-ils pas alors, dans le transfert du jeune (et le transfert des parents), leurs propres attendus subjectifs pour la loi, sans autre recours tiers pour les sujets traités ?
A vouloir imposer telle ou telle façon d’éduquer, à s’immiscer pour en régler le cours dans les situations familiales des jeunes, la dérive familialiste de la Justice des mineurs reste massive, ouvrant grand la porte à cette technocratisation du travail social dont beaucoup s’alertent, sans véritablement saisir comment nous en sommes arrivés là !
Quand la loi du dire devient « la loi du juge », nous plaçons, que nous le voulions ou non, le magistrat dans une position d’omnipotence éducative qui le situe dans un face-à-face, une position duelle, potentiellement rivale des autres « lois » – loi du jeune, loi des familles, loi des services…
Détachée du continent de la Justice ordinaire, livrée au psychologisme, au sociologisme, la sphère de la Justice des mineur, dont certains magistrats, il faut bien le dire, ont eu tendance à faire une chasse gardée, a ainsi plus ou moins perdu sa vertu première, d’être un lieu qui existe par lui-même (Garapon). Les juges des enfants, enserrés dans ces discours spécialistes étrangers sinon hostiles au droit, sommés de collaborer au partenariat institutionnel, priés d’avaliser les expertises, tendent à perdre de vue leur propre office tiers, leur raison d’être juridique .
Laissés ignorants de l’apport de l’anthropologie dogmatique, soit de la dimension institutionnelle (langagière, juridique) de la vie subjective , les magistrats n’ont pu jusqu’à ce jour – mais ni plus ni moins que les praticiens du travail social et les psys – accéder a minima à une réflexion un peu rigoureuse quant à l’articulation du droit à la problématique subjective. Sous le poids de la doxa de l’Educatif – véritable cheval de Troie de l’anti-juridisme –, et bien sûr, comme il est alors naturel, d’un narcissisme de corps, cette réflexion – qui n’a rien à voir avec un quelconque psycho-juridisme (identifiant le sujet de droit et le sujet de l’inconscient) – demeure circonscrite, comme interdite de Cité par la doxa. C’est pourtant en s’extirpant du clivage entretenu à souhait par les sciences humaines entre sujet de droit et sujet de la parole que les juges pourraient réinvestir leur propre fonction clinique de garant de l’identité .
Nous sommes sur la pente contraire, sur la pente de l’obscurcissement de cette fonction de garant, celle de sa dilution dans le grand tout partenarial – pente qui pourrait à terme déboucher sur l’annulation pure et simple de la fonction du juge au civil, au profit d’une «gouvernance» administrative omnipotente, et toute aussi ignorante de sa propre inscription dans l’horizon généalogique, du sens.
La subversion de la fonction médiane du juge – fonction qui ne peut valoir, j’y insiste, que si le juge se soutient lui-même tiers, c’est-à-dire tiers exclu dans la scène du lien, par rapport au réel des liens familiaux, sociaux, institutionnels – a eu pour conséquence directe d’inclure sa figure dans un imaginaire social très maternalisé… Freud avait déjà parlé en son temps de cette tendance à faire de la Société une nursery – une tendance aujourd’hui manifeste, où se confortent les mécanismes fantasmatiques (meurtriers et pervers) de l’inversion. Inversion qui regarde tout autant, soyons clairs, les dits homosexuels que les dits hétérosexuels.
Il en va là du mouvement général de la déconstruction du noyau structural œdipien, de sa dé-symbolisation, de toute cette mécanique de la déstructuration institutionnelle qui irradie notre société… Le mariage, par exemple, ne serait plus une institution, mais un « contrat » à la libre disposition de chacun, quel que soit le sexe des contractants… Nous avons laissé aller une logique, logique du fantasme, dont nous sommes encore loin je le crains de percevoir, derrière nos idéalisations politiques, le lot de régressions et de nouvelles ségrégations qu’elle transporte.
Pour avoir voulu faire du juge des enfants ce Père Idéal , devenant pour les jeunes « mon juge » 0 , les fondateurs ont détourné la Justice des mineurs des rites et formes d’une justice plus solennelle. Ils ne savaient pas qu’à l’envers du vieux juridisme, ils allaient ouvrir un autre type de dérive, plus soft, plus larvée, mais je dirais, qu’on me pardonne cette lèse- majesté, plus perverse… Le résultat en est que ces juges se trouvent prisonniers de cette dérive commune, dérive de la fausse réparation 1 dans laquelle tant de pratiques échouent, relançant l’illusion autoritariste. Une dérive qui s’inscrit dans cette tendance culturelle du temps, disons libéralo-libertaire, dont la résultante est aujourd’hui la déconstruction illimitée des montages du droit civil, sur le nom, le mariage, la filiation.
Comment les praticiens pourraient-ils dès lors s’orienter avec quelque rigueur, d’un fil rouge, en se dégageant, y compris pour leur propre compte de sujet, de cette perte des repères symboliques fondamentaux (les repères œdipiens) dont souffrent au premier chef tant de jeunes laissés en plan ? Comment dans un tel contexte, positiviste, conquérir de soutenir la négativité, de supporter la confrontation hors duel, d’endurer le conflit sans basculer dans des rétorsions destructrices ?
Qu’en est-il au niveau de la « formation » spécifique des juges des enfants ? Quel discours mène le bal ? Le discours du droit ou, sous les atours d’une idéologie de la réparation de bon aloi, le discours du maître ?
Depuis longtemps je tente d’indiquer ici et là, tirant leçon des cas, combien la confusion des genres, des places et des discours, poussant à l’indistinction des figures, à la dé-symbolisation de la scène œdipienne, barre la voie à l’élaboration subjective du «grandir», et combien donc, comme le dit Legendre, « sans différenciation des places, des fonctions et des discours, le rapport à la loi devient une mascarade » …
Cette indistinction des figures est au principe du nihilisme, d’un nihilisme culturel masqué sous des atours militants et narcissiques divers ; elle est à mon sens l’obstacle majeur à la remise en œuvre par le juge d’une scène institutionnelle triangulée, où fonctionne la Loi. Voilà pourquoi tous ceux qui se déclarent soucieux d’une clinique du sujet digne de ce nom, soucieux de faire vivre des espaces tiers, auraient je crois mieux à faire que de trompéter ou de justifier imprudemment la doxa. Les cliniciens ont devant eux de mesurer la rupture introduite par la psychanalyse par rapport au juridisme (au psychologisme et au familialisme), et à partir de là ils ont à concevoir en quoi l’office du juge peut être garant de l’institution du sujet, garant du cadre de la clinique. (Il s’agirait là, pour les analystes, de conquérir enfin ce pas, que je nomme parfois, payant ma dette, le pas de Legendre .)
Mais devant la réalité des choses, devant la puissance de l’attachement de la plupart à notre exception française , j’ai fini par comprendre que tant que cela restera possible, travailleurs sociaux, psys, services et institutions, secteur social, continueront de se décharger massivement sur les magistrats de la jeunesse de leur propre malaise, de ce qui de l’écart et des limites n’est pas soutenu dans leurs pratiques … A défaut de soutenir une praxis (ce traitement du réel par le symbolique disait Lacan), les uns et les autres se rabattent sur l’exercice d’un pouvoir très imaginaire… Et quand ce pouvoir, comme il est de structure, est en échec face au Réel, alors ceux-là en appellent au juge, pour agir, incarner en bout de chaîne institutionnelle le pouvoir imaginaire…
Je dis souvent, au plus simple : c’est un peu comme quand la mère, à défaut de soutenir ses propres limites (sa propre division subjective, sexuée) auprès de l’enfant, en appelle au père … pour la police – une police qui n’aurait d’autre vocation que de maintenir l’enfant dans le giron de cette mère. Voire pour être une « meilleure mère » n’est-ce pas…
Ce mouvement, cette attente de puissance et de délivrance transportée sur le juge, je les ai relevés il y a des années de cela, comme transfert institutionnel (politique) sur la figure du juge, du juge comme Père Idéal … Antoine Garapon en avait de son côté, dans son essai, perçu l’implication, se demandant dans un fil foucaldien si « cela ne procèderait pas aussi d’une incapacité à penser le sujet au-delà de la domination d’une part et de la psychologisation d’autre part ? » . Mais cette incapacité à penser le sujet au-delà de la domination d’une part et de la psychologisation d’autre part ne saurait être dépassée tant que le pouvoir normatif du judiciaire reste incompris comme pouvoir civilisateur – civilisateur de la logique du fantasme.
La gageure aujourd’hui, j’y insiste une dernière fois, est donc bien de concevoir le pouvoir du juge comme pouvoir de référer les sujets au principe qui les dépasse, et de là, comme un pouvoir clinicien . Ce que n’autorise un seul abord anti-normatif, disons« foucaldien », tant cet abord, à l’envers du vieux juridisme, méconnaît (en regard de l’empire du désir inconscient qui enveloppe l’humain) cette dimension structurale normative du langage dont procède le droit 2 . Dimension à laquelle le juge, dans sa fonction clinique, sa fonction médiane d’interprète, relie le sujet. Je dis une fois encore médiane , car la fonction du juge n’est pas d’opposition mais bien de reliaison du sujet à la Loi. Il ne s’agit pas davantage pour le juge que pour le psychanalyste, selon la formule de Lacan, d’opposer la loi au désir, mais d’unir le désir à la loi.
Les praticiens, juges, psys, travailleurs sociaux, continuant dans leur plus grande majorité d’associer l’idée de normativité au fantasme politique de normalisation, ne sont pas formés à saisir en quoi le droit « manie les images fondatrices de la subjectivité» 3 . Ce qui explique que nous soyons aujourd’hui, sous nos grands airs libéraux et libertaires, très en retrait par rapport à ce qu’avançait Hegel quant à la valeur du pénal pour les criminels, indiquant d’une formule simple et profonde qu’il s’agit d’abord par là « de les soumettre à la loi comme à leur propre droit » 4 . Comment comprendre aujourd’hui cette proposition si nous pensons que le droit, comme le répandent encore des psychanalystes en vue, n’a aucune prise sur la subjectivité ?
Les juges des enfants pourraient-ils ne pas chercher à faire autre chose que du droit s’ils pensent, et nous avec eux, que le droit est sans rapport avec le déterminisme symbolique langagier ordonnateur de la Filiation, des figures qui commandent à la dialectique identificatoire – à ce «jeu d’images inconscientes et de fonctions symboliques fondatrices, inséparables de la formation des identifications chez l’enfant » 5 ?
Les juges ont en effet capacité symbolique (pas gestionnaire) d’authentifier les places familiales et institutionnelles comme limitées et distinctes, et par là capacité à remettre symboliquement en scène, y compris dans l’insu de la représentation de tous, le jeu croisé des figures Mère et Père . De cette capacité, nouée à la facture langagière normative du droit, dépend leur fonction de garant de l’identité .
Prendre en compte, en regard de la dialectique du désir et de la loi, le lien du droit au procès identificatoire, voilà qui permettrait de discerner que « l’influence, exercée par un magistrat de la jeunesse, sur les structures mentales du mineur » , comme l’évoquait un arrêt de la Cour de cassation (7 avril 93), dépend bien davantage du traitement juridique de la situation de ce mineur, de la médiation qui s’y engage, que de je ne sais quelle « relation singulière entre celui-ci et son juge » comme le soutenait cette même jurisprudence de la Haute Cour. A personnaliser la fonction, à favoriser cette dite « relation singulière », l’implication subjective des magistrats risque tout au contraire, comme cela se vérifie, de conforter le brouillage des images familiales et institutionnelles qui règne dans les cas… Toute mon expérience m’a conduit à comprendre que c’est bien davantage par une mise en jeu limitée et distincte de leur propre fonction (tierce) dans la scène du cas que les magistrats de la jeunesse, référant, ré-instituant les uns et les autres à leur place de droit, remettant en scène la triangulation, exercent la meilleure influence clinique sur le sort psychologique des sujets traités 6 .
En conclusion
Si donc les magistrats de la jeunesse restent appelés, quel qu’en soit le mode, à se comporter en véritable chef de famille, super éducateur et patron des actions éducatives, il restera bien difficile de contrarier le rouleau compresseur de la techno-gestion, dans son œuvre de réduction de l’écart et des espaces tiers. C’est pourquoi, le lecteur l’aura compris, le retour des juges des enfants dans un rôle plus ordinaire pourrait être à mon sens une aubaine, l’occasion de discerner enfin, comme le disait déjà en 1989 Daniel Boulet , qu’ « un juge, fut-il de la jeunesse, est d’abord un juge-interprète … qui par sa décision doit aider l’enfant à occuper sa place sur l’échiquier généalogique de la vie» 7 .
Nul, dans l’exercice de quelque fonction institutionnelle que ce soit, ne peut, sans risque pour les sujets traités, et au-delà pour le cours politique général, se trouver exempté de la confrontation au caractère distinct et limité de sa place, de son discours, de sa compétence, et partant affranchi du travail subjectif (infini) d’élaboration de son rapport au Pouvoir imaginaire… A cette exigence s’oppose un certain esprit du temps, l’ esprit du privé : un esprit qui pousse à se faire le propriétaire de sa fonction, à se croire propriétaire de telle ou telle institution, hors lien d’Etat… Cet esprit, qui fut aussi le vieil esprit de la Réforme, nous pousse à récuser ce que j’ai appelé notre castration institutionnelle , tant au fond nous aimons «l’exception »… Cette exception qui comme on le sait avec Freud 8 reste toujours le meilleur prétexte pour se tenir hors le champ commun, ordinaire, des limites qui s’imposent à tous…
Nul ne peut prétendre venir boucher – réaliser – la place vide du Garant, sinon à télescoper, comme dans L’âne qui portait des reliques , les plans du sujet, de la fonction et de la Référence – l’Idole dans la fable de La Fontaine. Mais c’est pourtant bien ainsi, défendant notre « exception » française, que nous ne cessons d’ incester le champ institutionnel, le théâtre de la représentation fondatrice…
L’agitation militante est vaine, et je ne vois pas d’autre chemin pour les interprètes que d’avoir souci de l’institution du sujet – un souci qui, s’il n’est pas de façade, nous oblige à saisir que cette dite « perte des repères » dont on nous rebat les oreilles n’est au fond que subversion de l’indisponible de structure .
S’il y a bien, comme je l’estime avec quelques autres, déploiement d’une économie perverse (dans le champ familial et institutionnel), cela tient d’abord me semble-t-il à cette mise à mal juridique , nouvelle dans l’histoire de l’humanité, de la représentation fondatrice soutenue par les catégories et les montages langagiers, juridiques, de la différence des sexes et des générations. La dite « perte des repères » s’accompagne en logique, observons-le, de l’advenue d’autres « repères » : ceux de la nouvelle dogmatique libérale-libertaire, une dogmatique qui sous les oripeaux du libre choix du genre (thèse confusionnelle officialisée en leçon de chose, et en argument électoral s’il vous plaît !) est en vérité une dogmatique régressive, tenue au fantasme des parents combinés, d’avant la division du Sexe.
Des deux côtés de l’échiquier politique l’exigence structurale, l’exigence juridique de la mise en scène œdipienne des fondements, celle d’une théâtralité institutionnelle triangulée, demeure négligée. Et cela d’autant plus que cette exigence, non réductible à quelque familialisme ou modélisation sociale que ce soit, paraît pour beaucoup d’un autre temps, à ranger au magasin des antiquités freudiennes ! Nous serions à l’ère du post-œdipe, du sans totem et tabou. Telle est l’illusion, l’éternel complexe de croyance, qui amènent les uns, sur la pente sécuritaire, à faire des jeunes traités des quasi ennemis du genre humain, et les autres, sur la pente de l’affectif, à en faire, selon le mot de Legendre, des privilégiés du malheur .
Alors lecteur, pardonne moi, je rabâche et m’interroge une dernière fois : que faudra-t-il pour saisir que ce n’est pas en demeurant dans la bouillie actuelle d’un psycho-juridisme derrière lequel opère la déconstruction en cours du noyau anthropologique, que nous allons contenir l’imperium du Management – d’un management ignorant de son propre horizon généalogique ?
Daniel Pendanx
Bordeaux, novembre 2011
[Ce travail, fruit de la longue élaboration, est paru en 2008 dans une première mouture, sur le site psychasoc et le site psydésir , sous le titre Pourquoi un juge des enfants ? Réflexions sur la fonction clinique de la Justice des mineurs . Il vient d’être republié, quelque peu modifié, sous ce nouveau titre, sur le site de l’Association Lacanienne Internationale. Je remercie Joseph Rouzel de l’accueillir à son tour sur « psychasoc », à la veille des Assises du CNAEMO qui se tiennent à Bordeaux.]
1 Selon cette décision du Conseil Constitutionnel le juge des enfants ne pourra plus cumuler les fonctions d'instruction et de jugement – cumul relevé comme incompatible « avec le principe d'impartialité des juridictions ».
« Naturellement, on ne sait pas ce qui va arriver ici. Je ne sais pas s’il viendra des étudiants en droit, mais, à la vérité, ce serait capital, mais vraiment capital. C’est probablement le temps de beaucoup le plus important des trois, puisque ce dont il s’agit cette année, c’est de prendre la psychanalyse à l’envers, et peut-être, justement, de lui donner son statut, au sens du terme qu’on appelle juridique. Cela, en tout cas, a sûrement toujours eu affaire, et au dernier point, avec la structure du discours. Si le droit, ce n’est pas ça, si ce n’est pas là que l’on touche comment le discours structure le monde réel, où sera-ce ? » (Lacan, L’envers de la psychanalyse , p.17)
Cf. Henri Michard, De la justice distributive à la justice résolutive. La dialectique du judiciaire et de l’éducatif dans la protection de l’enfance , p. 423. (C.R.I.V. Vaucresson, 1985)
4 Cf. Michel Henry, Les jeunes en danger , p.415 (CFRES, Vaucresson, 1972)
5 Cf. L’âne qui portait des reliques (1985, Editions Le Centurion/ Justice humaine)
Le terme des « parents combinés » introduit par la psychanalyste anglaise Mélanie Klein (1932) est ici employé pour désigner le mythe sexuel infantile, d’avant la symbolisation du Sexe (du Phallus), temps où la différence des sexes ne joue que sur le mode, réversible, du phallique/châtré. Dans ce mythe, individuel et collectif, les figures du père et de la mère se trouvent réunies, de manière ininterrompue, sous le primat de cette Image, invisible, que la psychanalyse désigne du vocable de Mère Toute , ou Mère phallique .
Catherine Labrusse-Riou, dans Les procréations artificielles : un défit pour le droit , in Ethique médicale et droits de l’homme, Actes Sud/INSERM, 1988, p. 66.
8 Au prétexte de l’interdisciplinarité , du partenariat , une conjugaison insensée des ordres de discours et de places a fait le lit de cette technocratie gestionnaire, laquelle œuvre avec constance, sous le règne des experts, à la mise en place d’une sorte de préfectorale du travail social. Le projet d’un nouveau commissaire du travail social, prenant le pas sur les juges, serait-il à l’ordre du jour ? Depuis quelques années de manière plus accélérée le Management, forgeant son propre juridisme (les « référentiels » des « bonnes pratiques »), s’est emparé du pouvoir institutionnel, mais les cliniciens, naïvement, continuent de soutenir l’idée d’un juge-éducateur, sans comprendre que ce juge là perd de la sorte sa vraie ressource pour domestiquer un Management destructeur de l’écart et de l’espace tiers.
9 Cf. l’entretien de Pierre Legendre, Melampous, le devin / Réflexions sur le pouvoir généalogique des Etats, dans la revue Melampous de l’Association des magistrats de la jeunesse (sur le site web Melampous).
0 « Mon juge » , figure du roman familial institutionnel , est l’expression réalisée d’un transfert idéalisant , ouvrant la porte à toutes les séductions et projections associées. (Cf. D. Boulet, op. cité).0
11 Cette notion de fausse réparation a été introduite et développée par Winnicott. (cf. son texte, La réparation en fonction de la dépression maternelle organisée contre la dépression (1948), in De la pédiatrie à la psychanalyse . Paris, Payot). [Le film de Ken Loach, Sweet Sixteen , est une démonstration magistrale, et cruelle, de la façon dont un jeune sujet, privé de « père », privé de la scène et du chemin de l’élaboration subjective du « grandir », vient se perdre dans cette « fausse réparation ».]
2 Evoquer un incontournable de structure c’est prendre acte du fait qu’il n’y a d’élaboration subjective (de dépassement du fantasme narcissique) qui ne soit dépendante de la structure normative du langage (du noyau de la différence de sexes et des générations), dépendante de la scène (familiale et institutionnelle) de la représentation œdipienne Mère/Père/Fils. En ce sens la clinique judiciaire n’est pas une clinique de l’enfant, mais une clinique de la famille, j’entends là une clinique visant à remettre en scène la représentation familiale œdipienne – je dis bien « la représentation » – et non de permettre je ne sais quel accès de l’enfant, dans le réel, à ses deux parents. Proposition de « l’accès aux deux parents » (dans le réel, sans en mesurer souvent le prix pour l’enfant et ses parents), qui est l’indice du familialisme le plus éculé.
3 Cf. Revisiter les fondations du droit civil, in Sur la question dogmatique en Occident , Tome 1, Pierre Legendre, p. 119.
14 « En considérant en ce sens que la peine contient son droit, on honore le criminel comme un être rationnel. Cet honneur ne lui est pas accordé si le concept et la mesure de sa peine ne sont pas empruntés à la nature de son acte – de même lorsqu’il n’est considéré que comme un animal nuisible qu’il faut mettre hors d’état de nuire ou qu’on cherche à l’intimider ou à l’amender. » (Hegel, Principes de la philosophie du droit , Tel Gallimard, 1997, p.124). Ce propos peut être aujourd’hui lié à cette indication précieuse de Pierre Legendre selon laquelle : « L’horizon du droit pénal n’est pas le droit pénal, mais le noyau du droit civil, les fondements civilistes de la filiation qui sont les fondements institués de la reproduction du sujet. » ( La drogue et l’institution du sujet , dans Autour du parricide , Travaux du Laboratoire Européen pour l’Etude de la Filiation, 1995, p.111
15 Cf. Alexandra Papageorgiou- Legendre, in Filiation / Fondement généalogique de la psychanalyse (Leçons IV, P. Legendre, Fayard 1990, p.32)
16 Il convient ici d’élargir au plan institutionnel, culturel, la notation de Lacan (dans Les complexes familiaux ) selon laquelle le sort psychologique de l’enfant dépend du rapport que montrent entre elles les images parentales. Autrement dit ce rapport entre les figures parentales avant d’être un rapport subjectif est un rapport institué, un rapport profondément lié, en amont de la scène familiale, au mythe institutionnel parental – à la culture et au droit qui en manient et ordonnent la représentation. [Nous retrouvons là ce que Lacan a fait valoir sous les termes de la précession du symbolique , ou avant lui, Freud, sous ceux de l’identification au père de la préhistoire individuelle, préalable à toute relation d’objet – « père » précisera-t-il qui comporte « les deux parents ».]
17 Cf. Archives Aquitaine de Recherche Social, n°spécial 1989-1990, pp.85-86.
18 Cf. Freud, Quelques types de caractères dégagés par la psychanalyse, chapitre 1, Les exceptions (Essais de psychanalyse appliquée, Payot, 1978)