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Quelles mutations, quel avenir pour le travail social ?

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Claude Pasqualini

samedi 09 mai 2009

Quelles mutations, quel avenir pour le travail social ?

L’impact des changements structurels et législatif sur les pratiques des travailleurs sociaux et sur la situation des personnes en difficultés.

Journée culturelle IMF 24/03/09

Claude PASQUALINI, éducateur spécialisé, coordinateur du service RMI du SARA.

Je remercie l’IMF de m’autoriser cette prise de parole qui est portée par l’engagement d’une équipe composée d’ES et d’ASS en contact quotidien avec des personnes en situation de fragilité sociale. Elle est l’occasion de dire mon attachement à nos métiers ainsi que la pertinence, la richesse et la complexité de l’accompagnement des personnes dans ce dispositif d’insertion.

Le service d’accompagnement à la réinsertion des adultes a été créé en 1985. C’était à l’origine un accueil de jour accueillant des personnes sans domicile. Au fil des années, une pratique d’accompagnement socio-éducatif a été développée. La création du dispositif RMI a largement favorisé la prise en compte des plus démunis dans une intervention dont le socle est l’accès au droit.

1988/2009 : du RMI au RSA

Création du RMI en 1988 :

Pour Robert CASTEL, la question sociale s’est déplacée de la pauvreté à l’exclusion. La loi de 1988 est portée par une volonté politique forte : « l’insertion sociale et professionnelle est un impératif national » article 1. « L’important est qu’un moyen de vivre, ou plutôt de survivre soit garanti à ceux qui n’ont rien, qui ne peuvent rien, qui ne sont rien » François MITTERAND.

Le montage allocation/contrat impulse un dispositif novateur dans le traitement de la pauvreté: tout individu, quel que soit son niveau de difficulté, peut prétendre à être soutenu dans un parcours adapté à ses problématiques. Le contrat d’insertion autorise une approche globale de la personne à travers un éventail de thématiques (vie sociale, santé, logement, emploi/formation)

Le travail de maillage du lien social des associations est valorisé. Nombre d’entre elles renforcent leurs interventions auprès des publics précaires à travers des conventionnements avec les conseils généraux.

Décentralisation en 2004 : création du RMA

Un constat très négatif accompagne l’évaluation du dispositif après 15 ans de fonctionnement. Le nombre de bénéficiaires a doublé, l’insertion professionnelle est jugée insuffisante et trop d’allocataires ne formalisent pas de contrat. Les personnes sédentarisées dans le dispositif inspirent une forte suspicion. De nombreuses associations qui portent des projets culturels et artistiques seront déconventionnées : Il faut revaloriser le travail.

Une dichotomie apparait entre insertion professionnelle et insertion sociale. L’approche globale caractéristique du dispositif RMI cède peu à peu à une logique de morcellement des dispositifs et des intervenants ; c’est la CAF qui va être chargée d’orienter les nouveaux entrants à l’aide d’un questionnaire: le diagnostic social est traité par un logiciel et déterminera l’orientation d’un nouvel entrant vers un accompagnement à l’emploi (création du CIDE, contrat d’insertion délégué à l’emploi) ou un référent social. Pour ces deux types de contrat, un nouvel imprimé a été édité : les quatre thématiques ont disparues, deux items leur succèdent : diagnostic/plan d’action.

Catherine MATTEI, sociologue, repère dans la décentralisation du RMI une transformation fondamentale qui pourrait se résumer ainsi : la dimension politique relevant les enjeux de l’insertion est ramenée à une dimension technique. L’insertion est un problème technique qui relève de réponses techniques.

Le RSA

Expérimenté dans 34 départements depuis 2007, il sera généralisé en juin 2009. Il Remplacera le RMI et l’API. C’est un complément de revenu pour les travailleurs pauvres et un revenu minimum pour les personnes sans ressource (RSA socle).

Un nouvel opérateur intervient dans le suivi de l’allocataire : dès que la CAF enregistre des revenus d’activité salariée, celui-ci est orienté vers un organisme de formation conventionné pour un suivi de parcours. Le but étant d’augmenter le temps de travail pour sortir du RSA. Le suivi engagé par le lieu d’accueil RMI prend fin sans évaluation.

Effets

Le secteur social se construit autour de modalités opérationnelles de plus en plus proches de celles du secteur marchand. Compétitivité, conventions d’objectifs, concurrence seraient l’aiguillon de meilleures performances. L’ouverture au marché public des associations prévue pour 2010 va renforcer considérablement cette logique dont l’idéal semble porté par une volonté de maitrise.

Les fondements du travail social sont littéralement abrasés : la rencontre, la relation à l’autre, les modalités de lien et de séparation, la question du temps psychique constituent un ensemble complexe qui tendrait à être éludé. Cette « asepsie » du travail social, pour reprendre une expression de Paul FUSTIER, impacte directement nos institutions et les usagers. Les conséquences sont assez dévastatrices.

Du côté institutionnel, les professionnels tendent à être de plus en plus isolés sur des dispositifs spécifiques. Considérés comme des exécutants, ils se sentent désappropriés du sens de leur mission. Leur expertise est rarement sollicitée et l’évaluation de leur travail réduite à la portion congrue : comptabilité de « sorties positives » qui ne disent rien de la complexité des procédures et des enjeux du travail. De plus, la culture du résultat -conventions d’objectifs- tend à mettre les professionnels en échec vis-à-vis des publics les plus fragiles. Je trouve cela insupportable.

Face à l’appauvrissement de projets fédérateurs, intervenants et hiérarchies sont soumis à des pressions et des contraintes qui clivent littéralement leurs rapports.

La logique de marché affaiblit également la dimension de veille sociale des associations, la recherche de sens, le soutien de valeurs : c’est un pilier de la démocratie qui est endommagé !

Du côté des usagers, un mécanisme de mise en tension (activation) favorise deux types de comportements :

L’usager « client » qui exige qu’on lui apporte ce que son contrat le met en droit d’attendre. L’injonction de réussite est sous tendue par l’idée d’une responsabilité personnelle à l’échec social ; la responsabilisation devient culpabilisation et se retourne insidieusement sous une forme agressive à l’encontre des intervenants.

L’usager « perdant » qui n’est pas en capacité de satisfaire un niveau d’exigence qui est hors de sa portée. Les publics en grandes difficultés s’amoncèlent inexorablement vers des structures d’accueil dites de bas seuil quand ils ne dérivent pas vers une rupture totale vis-à-vis des institutions.

C’est une véritable régression des politiques sociales.

Que faire ?

Certains étudiants remettent en question leur orientation professionnelle. Ils semblent confrontés à une forme de désenchantement, voir de désillusion face à l’évanescence des valeurs qui ont porté leur choix vers les métiers du travail social. Comment accompagner ce processus et susciter le désir de tenir une position ?

Cette question ne concerne d’ailleurs pas uniquement les étudiants ! Face au cynisme social, peut-on redonner crédit à nos rêves !?

Pour Vincent DE GAULEJAC (Les sources de la honte), Lorsqu’un individu est contraint d’occuper une place qui le disqualifie, cela produit une souffrance qui peut avoir des effets créatifs ou destructeurs…créatifs quand elle pousse l’individu à s’en sortir, destructeurs chaque fois qu’elle inhibe ses capacités.

Je souhaite que les différents ateliers de cette journée nous aident à comprendre le monde dans lequel nous vivons et nous apportent suffisamment de lucidité pour repérer les ressources et les richesses de nos métiers.

Les échanges entre professionnels de différents secteurs sont particulièrement propices à la construction d’une réflexion ; nous sentir sujet de nos expériences est un préalable à toute démarche de changement, voir de résistance…explorer, débattre, analyser, mettre en mots.

Je repense à un échange avec Yves PILLANT, lorsqu’il dirigeait la MAS BELLEVUE. Ce « détour » par le champ du handicap a fait pleinement échos à nos problématiques de travail dans l’insertion, rejoignant totalement notre vision de l’éthique.

Il me faisait remarquer que la production de l’objet ne peut se transposer sur les sujets, ce qui trouble les pensées actuelles !

La maison d’accueil spécialisée BELLEVUE a remplacé la notion d’éducation par celle de processus d’émancipation. « Celui-ci ne résulte pas d’une action produite par l’extérieur, comme s’il y avait une personne qualifiée qui avait la possibilité d’en émanciper une autre…produire une émancipation chez l’autre comme le potier modèle sa poterie serait traiter l’autre comme objet de notre projet sur lui (…) il y a production mais c’est la personne elle-même qui produit son émancipation et s’affirme peu à peu en tant que personne individuée ; il s’agit d’une autoproduction de sujets ! »

Cette approche nous renvoie à nos propres positionnements et situe avec justesse la nature de la praxis éducative : l’insertion est différente d’une démarche de colonisation d’individus barbares qu’il conviendrait de rééduquer ; aider chacun à trouver sa place est un processus d’humanisation, de pacification qui suppose des espaces de rencontre et des étayages relationnels adaptés. Nous sommes loin d’un idéal de maitrise prônée par nos conventions d’objectifs et loin également du sentiment d’impuissance qui en découle souvent.

La gestion imposée en mode de pensée et d’organisation est peu propice à l’épanouissement des individus. Notre service a connu des passages difficiles : tensions, agressivité, replis sur soi. Même les espaces interstitiels ont pu être désinvestis à certains moments.

Comprendre ce qui fait symptôme a été le point de départ de notre mise en travail. La supervision d’équipe a été essentielle pour transformer la jouissance qui envahissait nos rapports. Nous avons cherché à nous réapproprier le sens de nos missions, à donner plus de lisibilité aux procédures de travail auprès des publics précaires. Sortir de l’isolement nous est apparu vital également ; la question du travail en réseau à pris un nouveau relief, devenant un support d’engagement dans l’accompagnement social.

L’accueil de stagiaires, le rapprochement avec les instituts de formation par la création des sites qualifiants, la participation aux instances professionnelles, l’ANAS et la jeune ONES constituant autant de voies de réappropriation de la pensée. Ce sont également des gardes fous au niveau du droit et de la construction des savoirs faire et savoirs être.

Voici une expérience qu’Elsa BERNARDO, éducatrice et comédienne nous avait proposée d’expérimenter pendant une formation d’art thérapeute : nous confronter à nos aptitudes créatrices à travers différents médias artistiques (peinture, collage, modelage). Il était assez étrange de nous prêter à cette expérience sur la scène laborieuse de l’institution, d’autant que nous étions installés dans la salle de réunion…

Un exercice m’a permis d’entrevoir d’une façon toute particulière le travail d’équipe : il s’agissait de modeler une pièce d’argile confiée à chacun. C’était une création libre. Nous étions installés autour d’une même table, terre en main, dans un recueillement quasi religieux. Après un temps de modelage, nous avons été invités à passer notre production (non sans protestation !) à notre voisin, ce qui permettait dans le même temps d’en accueillir une autre. Ce double mouvement, lâcher prise/accueillir, nous a amené d’étape en étape à retrouver l’objet initialement tenu en main mais totalement transformé. Aucun n’était identique à l’autre, nous en étions chacun l’auteur.

Cette expérimentation me renvoie à un passage d’un ouvrage de Joseph ROUZEL (le travail de l’éducateur spécialisé). Il décrit le principe de la médiation relationnelle, espace de rencontre, d’élaboration, « d’inter-dit », il se réfère à l’histoire d’Armand GATI qui jeune homme, fut déporté dans le camp de Buchenwald. Ne connaissant alors rien au théâtre, il eu l’idée de créer une pièce avec deux compagnons. La création d’une scène imaginaire eue pour effet de les aider à survivre à la « scène invivable ». Plus tard, il a travaillé le théâtre avec des personnes en difficultés.

Ce qui me surprend dans ce témoignage, c’est qu’à l’intérieur de cette « institution », cet homme ait pu convaincre ses compagnons à jouer !

Toute proportion gardée, il nous a fallu aussi une certaine audace pour accepter de nous livrer à cette expérimentation. Nous sommes devenus du même coup les usagers de notre propre insertion, éprouvant différemment les liens qui nous « instituaient »

Terminer sur une scène de modelage pourra paraitre surprenant. L’est-ce plus que de rester sidéré devant les effets de la réification ?

Notre consistance d’être humain prend du sens dans nos rapports avec les uns et les autres. Accueillir l’inattendu du désir, d’une parole suppose une ouverture et une disponibilité dans la rencontre.

Entre une logique humaniste et la logique marchande, notre engagement peut être mis à rude épreuve. Pour autant, rien ne nous empêche, en toute lucidité et de notre place, à commencer le travail de changement. Ici et maintenant.

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Commentaires

Le passage d'un système "adminitré" à la "gouvernace"

Et avec ce qui a été écrit ici, Je vous envois un article qui pourrait bien vous éclairer sur la nouvelle politique du Travail social qui s'organise actuellement (sans forcément nous en apercevoir) notamment à propos de l'engagement du secteur dans un système de "gouvernance".

Ce système entre autre tend à une "mixité" entre procédures et développement de capacités d'auto-normalisation des institutions du secteur social et du médico-social.

En tout état de cause, ce système a des effets sur les professions du travail social, à savoir :

- perte de la légitimité de chaque professionnel (formation et diplôme, culture professionnelle, savoirs et techniques propres)

= pose la question de la banalisation du travail social ??? ...


- dorénavant, chaque professionnel doit négocier sa position spécifique avec les autres professionnels

= l'individuation de la professionnalisation ???

- chaque professionnel doit adapter ses valeurs, ses savoirs et ses pratiques de manière à façonner une cohérence institutionnelle qui n'est plus "donnée" mais à "construire"

= engagement, implication, responsabilisation de chaque professionnel pour produire et reproduire constamment leur sens et leurs raisons d'agir certes mais pose la question de la responsabilité professionnelle et de l'éthique décisionnelle en institution ???

etc.

Il semblerait que cette nouvelle perspective préfigure une nouvelle "culture professionnelle" de notre secteur.

Or, rappelons-nous que parmi les divers corps professionnels engagés dans l'action sociale, les professions du travail social constituent celui qui avait assis sa culture et sa légitimité sur son autonomie et sur sa spécificité.

Je vous invite à lire et à méditer sur cet article rédigé par Robert Lafore ( Juriste, professeur de droit public à l'Université de Bordeaux):

http://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=INSO_152_0014

merde

manger donc de la chnoutte

Une Bouteille a la mer

Quel est le système de valeur aujourd'hui??Valeurs basées sur la compétition et le profit.

Aujourd'hui,si tu n'es pas diplomé d'HEC,tu n'as pas de valeur sur le marché du travail;La valeur de l'individu est validée par un diplome.
Quand est -il de la valeur humaine, elle se base sur quelle échelle de valeur?

Dans un monde capitaliste ou le profit est roi,les grandes idées morales n'ont pas leur place de nos jours.
Les ingenieurs, polytecniciens, nous ont façonné un monde régit par des règles, les leurs. Le but:Réussite et profit=gagner de l'argent.
Pas de place pour "le social" relégué au second plan.Les travailleurs du secteur social sont considérés "citoyens de seconde zone", peu payés car peu de capacités peut-être??

Les notions d'écoute, d'empathie, la générosité du coeur, l'attention donnée a ceux qui en ont besoin....
Existe-t-il un diplome pour mesurer l'echelle de ceux qui ont du coeur???

Si on pensait davantage au bien-être des autres en oubliant le pouvoir et l'argent, notre société ne se sentirait-elle pas mieux??

Non, nous ne sommes pas des citoyens de "seconde zone" car nous écoutons nos coeurs et ne pensons pas en terme de carrière, nous sommes là pour aider ceux qui ont besoin d'être ecoutés, d'être compris et aimés pour ce qu'ils sont.

Laissons davantage de place aux autres et revoyons notre système de valeur.
Non, nous ne sommes pas ni Mère Thérésa ni l'Abbé Pierre....mais nous avons un grand role a jouer.

Nathalie.

Re

ce que vous dites confirme bien ce qui se passe actuellement dans nos institutions. Si je peux me permettre, je vous renvoie à l'ouvrage de François Dubet qui a écrit un ouvrage qui s'intitule "le déclin de l'institution. Il démontre que nous sommes à une époque où le contrat et le projet effacent la relation. Il va nous falloir retrousser nos manches car il y urgence.