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Récit d'un travail d'analyse des pratiques avec un psychanalyste

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Christian Ayerbe

jeudi 07 avril 2005

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Pendant une vingtaine d'années, l'équipe a analysé ses pratiques avec un médecin psychiatre. En 2003, le départ à la retraite de ce dernier impliquait un changement d'intervenant. Au regard de ce que cet intervenant percevait des questionnements de l'équipe, il nous a suggéré de nous adresser à un psychanalyste. L'équipe voulait initier une forme différente de travail en s'impliquant davantage. Elle était dans l'attente d'un savoir autre, sans le nommer. La psychanalyse n'était pas évacuée mais pas désignée pour autant.

Cadre de l'intervention

Nous nous réunissons deux heures par quinzaine. La directrice du service n'est pas présente, le groupe est constitué par les travailleurs sociaux de l'équipe.

Parfois nous convenons à l'avance de qui nous allons parler, sinon un tour de table le détermine. La volonté de participer à cette instance est largement partagée par chaque membre. Le climat relationnel y est détendu et studieux.

Généralement nous abordons des situations où la rencontre avec les personnes reçues dans le service est en jeu. L'intention de résoudre les difficultés est le déterminant principal dans les choix proposés à la discussion.

Même si la parole est fondamentale dans le processus nous ne sommes pas dans la perspective d'une psychothérapie collective.

Les affects peuvent s'exprimer, ils ne sont pas l'objet d'une analyse. Dans ce groupe d'analyse des pratiques, le soin de saisir avec quel désir avance chacun relève d'une démarche personnelle.

De l'embarras au malaise

Je me suis intéressé aux questions soulevées par notre engagement dans la relation avec les personnes reçues. Elles viennent se dire au moment de l'exposé de la situation.

Ces divers énoncés évoquent le doute, la recherche de sens, la culpabilité, l'inquiétude, l'insupportable.

C'est une demande de réponse à ces interrogations qui est adressée à l'analyse des pratiques.

Questions sur la position

Est ce que j'induis une demande qu'il n'a pas?

Elle me demande conseil sur des points importants, je réponds mais suis mal à l'aise avec ça.

Comment pourrais - je m'y prendre pour que les contenus soient différents, on aurait sûrement des fils à tirer.

Moi j'ai eu tendance à trop coller à elle, et toi à la rejeter.

Sur l'action

Comment travailler le groupe et l'individuel ?

Quel sens donner à l'accompagnement au moment de ce temps d'accueil collectif ?

Limites coupables

Quelle vie peut elle espérer, c'est de la survie dans la clandestinité, je n'ai rien à lui proposer.

Difficile de dire à quelqu'un qu'il n'y a plus de solutions.

La laisser sans solution me paraît difficile. C'est de la non assistance à personne en danger !

Pour moi c'est difficile, c'est la première fois que je rencontre une situation pareille, ce n'est pas de sa faute à elle, c'est moi.

Malaise

Elle m'inquiète quand elle fait autant part de manipulation.

Elle est sur une autre planète, on est en complet décalage.

Je suis très mal face à ce qu'elle nous a dit. Je me rassurais en me disant que ce qu'elle disait ne pouvait pas être possible.

Je suis impuissante, ça m'est insupportable d'entendre ça chez elle, c'est une morte vivante.

Il me tardait qu'une chose : qu'elle se barre, je me suis dit qu'elle pouvait avoir un couteau et faire mal.

TRAJET D'UNE SEANCE

Souvent le travail débute avant la séance. Il commence à partir du moment où l'équipe ou (et) le professionnel prévoira d'aborder une situation. Cette décision ouvre la voie à une maturation qui repose sur plusieurs jours. Que recouvre - t - elle ?

Envisager une présentation au groupe implique la définition d'une problématique. Un temps de réflexion va s'imposer pour en dégager les éléments. Le contenu de l'exposé au groupe devra s'élaborer au moins dans les grandes lignes. L'exigence d'un " bien dire " pour extraire l'essentiel et aussi par respect à l'égard du groupe. Tout en produisant un effet de mise à distance et de décentration, ce cheminement engendre le mouvement précurseur d'une nouvelle perspective. Le fait de décider de parler est un pas supplémentaire.

J'en perçois systématiquement le bénéfice.

La durée de l'exposé varie. Dans la plupart des cas, elle ne dépasse pas la vingtaine de minutes. Ce temps offre à celui qui parle la possibilité d'exprimer ce qui jusque là était moins dit ou non dit. Si dans sa pratique il est écoutant, le voici à la place d'être entendu. Cette éphémère inversion de statut est une expérience dont chacun peut tirer enseignement. La charge émotionnelle contenue peut se libérer. La déposer participe à s'en dégager tout en prenant conscience de l'importance de sa place. Son émergence peut créer une surprise et constituer de ce fait un élément nouveau à considérer.

Le fait de dire dynamise la pensée par des associations d'idées qui favorisent sa précision.

Tout en se dévoilant, l'histoire du face à face avec le cas vient maintenant s'écrire et se partager à plusieurs. Ce pont entre soi et l'équipe me parait très important car il vient rompre l'isolement dans lequel on se trouvait jusque là.

La fin de la présentation est souvent ponctuée par un très court moment silencieux animé de mimiques et regards complices. Nous voici au pied du mur de l'énigme du cas. Cette pause est rompue par l'intervenant à qui l'on suppose une idée. Il va poser des questions précises qui invitent à en dire davantage. J'en ai repéré certaines qui reviennent régulièrement.

Du côté du professionnel

- Comment réagissez vous ?

- Par quoi êtes vous guidé ?

- En quoi votre travail a t- il consisté ?

Du côté de la personne

- Vers où dirige t- elle ses décisions?

- Quel choix fait elle ?

- Qu'est- elle entrain de traiter ?

Parfois ces questions créent un embarras, il m'arrive de ne pouvoir y répondre. Elles mettent en lumière des points qui ont échappé, des pistes à creuser. Elles poussent à approfondir et justifier les raisons de ma position.

Au delà de la situation en discussion, elles sont susceptibles de devenir boussoles pour faire évoluer ma pratique de façon plus générale. La mise en évidence de ce qui fait défaut n'est pas propice au soin de son ego. Ce ressenti a la vertu de rappeler la complexité de ma fonction. Il stimule l'ouverture à de nouveaux repères.

La dernière partie du travail va consister à envisager des orientations sur lesquelles le professionnel pourra s'appuyer pour déterminer sa future position.

Certains éléments dégagés précédemment vont s'enrichir d'un éclairage théorique proposé par l'intervenant : les concepts issus de la psychanalyse s'avèrent alors précieux et précis. Ils permettent de nommer ce qui, jusque là, relevait plutôt du constat et de la question. L 'absence de mot pour désigner ce qui s'observait créait un vide de sens et de logique.

Nous prenons le temps d'avancer progressivement en confrontant cet apport nouveau aux différentes perceptions de chacun. Pas à pas une construction s'élabore.

Se référer à la personne pour aborder les concepts facilite leur compréhension, met en relief leur pertinence. Une dialectique se repère : dans un même mouvement l'avancée conceptuelle s'appuyant sur le cas donne à ce dernier une nouvelle dimension.

L'intervenant situe la psychanalyse dans sa dimension éthique et politique. Egalement historique en terme d'évolution, citant les avancées de Freud et de Lacan. Ces divers prolongements ouvrent l'angle de la réflexion. Ils nous enseignent. Chacun s'approprie cet enseignement selon son rapport à la psychanalyse. Malgré toutes les différences que cela suppose, je pense pouvoir témoigner d'un intérêt collectif à cette transmission de savoir.

Le cheminement personnel se poursuit au delà du travail d'analyse en groupe. C'est le temps de décantation nécessaire pour digérer le contenu de la séance. Je fais référence à la fonction digestive car elle me semble illustrer assez bien ce mouvement intérieur. Il consiste à absorber des éléments, qui, pour devenir énergie, doivent nécessairement passer par une transformation. Les éléments issus de la réflexion en groupe vont être revisités dans l'ombre pour aboutir à une version très personnalisée. Une surprenante alchimie s'opère. J'en repère l'existence dans un après coup, au moment de son aboutissement, c'est - à - dire quand pointe l'affirmation du désir de poursuivre le travail accompagné de ce nouveau bagage. Il s'agira d'en mesurer les effets pour à un moment donné les ré - interroger dans une hypothétique prochaine séance.

DES EFFETS A PLUSIEURS NIVEAUX

L'analyse des pratiques de l'équipe avec laquelle j'ai le plaisir de travailler s'adresse à notre façon d'agir pour éclairer les questions et interroger le sens de nos positions. Elle pousse à examiner notre pratique de la façon la plus proche de ce qui se passe.

Comme nous avons pu le repérer, la rencontre avec le malaise ou l'étrangeté de l'autre peut engendrer un embarras, parfois de la violence. Ne pas le traiter conduirait certainement du mal entendu au plus vouloir entendre. Cette fermeture se traduirait par l'impossibilité de soutenir un engagement professionnel susceptible de créer ou maintenir les conditions du transfert. L'absence de ce levier ne permettrait plus au sujet de nous dire ce qui l'agite afin qu'on l'aide à en saisir quelques coordonnées par le déchiffrage de ses traits singuliers.

Je pense plus particulièrement à ceux dont il peut être question au sujet de son rapport à la jouissance.

La découverte de cette dimension est récente pour l'équipe. C'est l'analyse de nos pratiques avec un psychanalyste qui nous a ouvert à ce concept majeur mais difficile à cerner.

Un deuxième effet marquant qui n'est pas sans lien avec celui de la jouissance est la réflexion proposée pour aborder la psychose en tant que structure. Jusque là, pour nous, le psychotique avait une personnalité "très perturbée". Avec surprise, nous avons mis en relief des structures psychotiques pour des personnes connues depuis plusieurs années. La meilleure connaissance de leurs traits singuliers aide à trouver du sens à l'accompagnement et d'en supporter plus facilement la lourdeur.

La présence d'un tiers extérieur ouvre un espace spécifique où peuvent émerger des questions sur nos questions en les resituant au niveau professionnel. Cet espace libéré des contraintes institutionnelles constitue une adresse pour répondre aux diverses questions professionnelles de chacun

Au delà des bénéfices personnels en terme de réajustement et de formation, des effets sur la dynamique relationnelle de l'équipe sont à souligner.

Le risque partagé de cette prise de parole autorise à se révéler en défaut, l'humilité et la solidarité en sortent renforcés.

La meilleure connaissance de chacun protège des constructions imaginaires. Il y a quatre ans l'équipe a connu une crise, c'était le temps de la suspicion. La division de l'équipe pour analyser ses pratiques a eu pour effet de laisser émerger cette dérive. Nous avons dû solliciter un intervenant extérieur pour en sortir. Cette anecdote nous éclaire sur la nécessité d'un élément tiers pour maintenir ou retrouver un équilibre. Le couple formé par l'entité accueillante - accueillie semble devoir faire appel à un plus un pour éviter le risque de "l'embrassement" .

C'est en tout cas au prix de cette exigence que s'élabore pas à pas, dans notre service, un savoir et une orientation commune.

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