Textes > fiche texte

Souffrances institutionnelles, discours socio-éducatifs et psychanalyse

Suggérer à un ami Version imprimable Réagir au texte

G. Schopp

samedi 14 juin 2003

Les souffrances qui hantent les institutions du champ social sont assez connues de tous pour ne pas y insister.
Parmi les causes évoquées, nommons celles qui concernent les moyens qui ne suivent pas toujours l’ampleur des effets du malaise social, les dysfonctionnements institutionnels, et l’excessive difficulté des métiers socio-éducatifs pas toujours reconnus au niveau où ils devraient l’être. Nous insisterons ici sur ce qui caractérise les discours en position maître dans le champ social, nommément la mise à l’écart de la découverte freudienne.
Les savoirs socio-éducatifs qui se fondent sur les sciences humaines rencontrent la question du refoulement de la réalité de l’inconscient (qui est sexuelle comme chacun le sait) pour mieux la dénier. Rejetée ainsi hors du symbolique, cette question du sexuel fait retour et se déchaîne dans l’économie institutionnelle selon des voies les moins recommandables.
Les paroles échangées autour des pratiques éducatives réveillent en permanence les effets de l’inconscient à travers les passages à l’acte de toutes natures, les diverses manifestations d’agression/destruction et les déliaisons institutionnelles. (« l’inconscient c’est le social » disait Lacan… plus que jamais ).
Nous pouvons ainsi parler de JOUISSANCE INSTITUTIONNELLE pour nommer le lien institué saturé de douleurs et de rapport sado-masochiste. Si rien ne change dans le sens indiqué ici, ces douleurs ne sont pas prêtes à se dissoudre…dans la résilience.
Des responsables éclairés permettent de penser le renouvellement théorico- pratique à partir de l’analyse des échecs qui consistent à reconnaître que le passage en institution est sans effet sur le destin erratique du sujet. Ils se préoccupent des difficultés que rencontrent les intervenants socio-éducatifs, intègrent les dispositifs les plus novateurs et favorisent le dialogue qui bien sur ne doit pas s’éterniser dans des discussions incertaines.
Parmi ceux-ci, certains décident d’analyser les représentations et les affects inhérents à la fonction directoriale, et abordent la difficile question de la direction d’une institution. Si nous la métaphorisons par celle du père, cette fonction se situe au-delà de l’alternative suivante : père tout puissant de la horde qui a pour effet le blocage de l’imaginaire des équipes(il est très étonnant de constater que le corps institutionnel réagisse comme le corps somatique : Des réactions psycho-institutionnelles sont équivalentes à des réactions psychosomatiques), père défaillant qui à pour effet la déliquescence des liens institués. (…et son cortège de passages à l’ acte).
D’autres se rabattent sur un « encore plus » d’approches fondées sur le conscient et la réalité-réaliste dont les limites s’observent quotidiennement. (Certains sont déjà revenus des méthodes nord-américaines supposées efficaces. Combien de fois, en effet, peut on entendre dire que «face aux jeunes d’aujourd’hui les savoir-faire éducatifs qu’on nous apprend ne marchent pas.
Des équipes déjà nombreuses appellent des psychanalystes pour des pratiques d’analyses de leurs positions subjectives vis à vis d’un cas, de situations ou de régulation.
Quelquefois, la direction, devant la souffrance de leurs équipes, propose ces espaces sans qu’elles soient tout à fait prêtes à les saisir. Une élaboration collective est alors nécessaire pour lever les résistances qui concernent l’accès à SA parole : plutôt que de se plaindre et de projeter sur l’autre les causes du malaise, qu’est ce que JE peux en dire ?
Quelquefois les équipes…revendiquent un tel espace mais dans une dynamique conflictuelle(enjeux phalliques ?) Qui s’est déplacée sur ce nouvel objet ? Ce n’est pas le meilleur chemin à emprunter car cela ne fait que retarder son instauration…ce qui peut informer sur la réalité du désir au-delà de la demande.
Cette perspective d’instauration de ces espaces (tiers ?)Vont dans le sens du déploiement de la parole. Ne risquent ils pas cependant de rester partiels et limités s’ils ne s’accompagnent pas d’une réinterrogation du projet pédagogique et des aléas de sa mise en œuvre ?
« Que l’harmonie règne dans mon institution » peut t’on entendre à la commande alors que la pratique de management, l’inadaptation imaginaire, réelle et symbolique de l’institution aux désarrois nouveaux des sujets poussent en sens inverse !
Il peut arriver aux psychanalystes de s’interroger s’ils ne servent pas, en maintenant leur acte, une subreptice politique adaptative à une économie institutionnelle… inadaptée. L’éthique consiste alors à tirer sa révérence.
En irait-il autrement si un psychanalyste reconnu dans son hétérogénéité (et lui-même dégagé de la position d’expert )était présent dans les instances ou s’élabore et se décide les orientations institutionnelles, les projets et les méthodes pédagogiques ?
Les nouveaux modes de jouissances des plus jeunes, leur déstructuration psychique grave(qui fonde la demande Psy indifférenciée : comment la spécifier à partir des problématiques cliniques rencontrées aujourd’hui ? Pense t’on que le psycho-logue ou le psychiatre qui restent déterminés par leur seule formation universitaire peuvent y répondre ? C’est tout l’enjeu de la refondation clinique désormais incontournable.), la problématique du passage à l’acte, rendent bien des pratiques désuètes. Ne pas les renouveler n’est ce pas faire le lit d’un nouveau grand renfermement ?
Les écoles de formation des professionnels n’ont t’elles pas pour vocation de mettre au travail ces failles théorico-pratiques ? N’ont t-elles pas pour vocation de s’ouvrir à la réalité des pratiques, en trouvant des articulations sérieuses avec les cliniciens ?
L’inadéquation des savoirs aux problèmes nouveaux qui se posent dans le champ social à pour effet la perte de sens que prennent pour un professionnel certaines conduites agies par un sujet. Parmi toutes les conséquences, l’amplification de l’agressivité et sa sédimentation en contre-transfert négatif n’est pas la moindre, d’autant plus quand des idéaux personnels et institutionnels fonctionnant comme des impératifs féroces empêchent de l’analyser.
Si, par exemple, l’intervenant ne comprend pas le sens que prend la violence d’un ado à son entrée en institution, s’il y répond en miroir, dans un corps à corps sans paroles il l’engage irrémédiablement dans une répétition. C’est pourtant, par cette mise en (Autre)scène que s’exprime son souhait le plus profond : que son mode de jouissance dirige la partie. Son trajet institutionnel sera dès lors chaotique et jalonné de violences partagées.
Ce surmoi féroce peut être renforcé dés la formation par des discours qui méritent d’être interrogés : « un bon professionnel doit être distant et sans affects ».Comme une telle position est intenable sans un certain travail d’analyse(du fait de notre histoire, des effets de groupe, et des intensités du réel de la clinique)et comme elle ne correspond à rien de ce qu’on rencontre dans la vie professionnelle qui est au contraire saturée d’affects massifs et contradictoires, des professionnels de plus en plus jeunes sont frappés « du mal de l’aigritude » lié au faux-self professionnel qui s’est construit peu à peu.
De nouveaux cadres institutionnels articulant la complexité de la vie psychique dans sa radicale spécificité sont nécessaires pour appréhender les défis de la clinique actuelle. Toute mutation épistémologique se heurte aux résistances des tenants des anciens paradigmes. Qu’elle en sera l’issue ? Les temps qui viennent nous le diront certainement.

Suggérer à un ami

Commentaires