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Un marionnettiste malhabile

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Antoine PASSERAT

lundi 27 juin 2011

Un marionnettiste malhabile

Écrire c’est un moyen de partager, de ne pas oublier et parfois de voir soi-même qu’on voit différemment. C’est pendant un temps d’écriture en formation que j’ai fait la première esquisse de ce texte et que j’ai pu me rendre compte qu’en racontant une rencontre on faisait vivre même à soi-même la relation différemment

Ainsi je propose ce texte où je parle d’un enfant que j’ai croisé en stage. Deux trois fois je me suis fait la remarque qu’il me faisait penser à un pantin, j’ai donc construis mon écrit là-dessus.

Et si Pinocchio, le pantin de bois était en fait un petit psychotique…

Une formation, un stage, une rencontre. D’abord des lieux, des professionnels, des mots, un contexte, un groupe, une histoire, et moi, moi au milieu de tout ça.

Lorsqu’on m’a parlé du groupe d’enfants, on m’a expliqué le contexte de l’accueil d’urgence, les problématiques familiales des enfants, on m’a parlé d’un groupe difficile, et puis au milieu de la discussion il y a eu Martin.

« On doit te prévenir, on accueille un enfant non scolarisé de 6 ans et demi. C’est assez inhabituel comme accueil car il est diagnostiqué psychotique et l’on n’est pas préparé à ce genre d’accueil ici. Tu verras, il vole tout ce qu’il trouve, principalement les clés, il dit que tout lui appartient, il est très envahissant et peut-être violent avec les autres enfants notamment… »

Martin je l’ai rapidement rencontré, découvert. Du haut de ses 6 ans et demi, il apparaît comme un petit garçon ordinaire lorsqu’il ne bouge pas. Mais Martin bouge tout le temps.

Ce petit garçon a un regard espiègle, il est brun et est désarticulé. En fait ce qui m’a le plus marqué c’est ça.

Martin pour moi c’était un pantin. Là où mes collègues le voyait comme un enfant difficile qui les mettait en échec, les poussait à bout, était violent, moi je voyais ce pantin manipulé par un marionnettiste fort malhabile.

Martin c’est aussi un enfant qui ne sait pas s’y prendre, je le voyais comme un petit garçon qui voulait que tout fasse partie de lui, ou lui qui ferait partie de tout selon les jours.

Moi Martin je le voyais comme un pantin et quand il courait, à chaque fois qu’il se déplaçait s’était en courant d’ailleurs, le haut de son corps dépassait ses jambes le mettant en déséquilibre. L’équilibre, il le rattrapait alors avec ses bras qui battaient l’air, désarticulé, de manière complètement disharmonieuse. Il faisait souvent mal aux autres en gesticulant ainsi, mais il ne s’en rendait pas vraiment compte.

Martin s’est aussi un enfant très nerveux qui ne tient pas en place, s’agite, parle, joue, sollicite, cours, envahi les espaces, nous envahit…

Mais parfois, quand on le tient dans nos bras, ou lorsqu’on lui lit une histoire le soir, il s’apaise, est calme, posé.

Lorsque Martin dépassait le cadre et devenait dangereux pour les autres enfants, on l’emmenait dans sa chambre et là… Le marionnettiste excédé lâchait les fils qui aident Martin à se tenir droit et il s’écroulait. J’ai essayé de le tirer, de le soulever en tenant son bras, mais rapidement pour moi le porter était la seule solution.

Martin a du mal à s’exprimer, enfin il s’exprime bien mais à des problèmes d’élocutions. Il lui arrive souvent de ne pas dire ce qu’il faut au bon moment, il utilise parfois des termes qu’il entend ailleurs. «  Martin si tu continues tu vas sortir de table », et Martin de répondre « peu m’importe » !

Toute la journée il la passe de la rage à la tendresse, de l’agression au prendre soin…

Ce qui m’a marqué chez lui, c’est ce désir qu’il exprimait parfois à être comme les autres.

Un soir pendant les vacances, il est venu me voir en me disant «  ce soir je me couche tôt ». Surpris je l’ai regardé et je lui ai répondu « mais demain il n’y a pas école », remarque stupide au demeurant car Martin n’étant pas scolarisé n’allait jamais à l’école. Il m’a alors répondu « si demain j’ai CP ».

Martin je l’ai aussi connu dans la crise, il m’a moi aussi repoussé dans mes retranchements. Notamment car je l’ai vu durant une période de transition.

J’ai pu le voir en grande difficulté dans la séparation car un lieu de vie lui avait été trouvé. Pendant sa période d’adaptation il a mis a mal beaucoup de professionnels, je dirais même l’institution à plusieurs reprises. Il ponctuait ses actes de violence par des « tu vas me manquer ». Il a volé et caché tout ce qu’il pouvait, les clés des éducateurs, de la chef de service. On l’a retrouvé dans la chaufferie, la cabane à outils…

Et un jour, alors que j’étais présent pour son départ en week-end d’adaptation, quelques minutes avant son départ, il est venu me voir en marchant, très calme et m’a demandé « bientôt je pars ? ». Lorsque je suis passé quelques minutes plus tard dans sa chambre, il jouait tranquillement et seul, ce qui ne lui arrivait jamais d’habitude. Au moment de partir il a mis ses chaussures très tranquillement et m’a dit « a tout à l’heure » et est parti avec sa travailleuse sociale, avec un regard où j’avais l’impression de lire de la résignation malgré le plaisir d’un lieu où il serait par là suite accueilli.

Son départ définitif s’est fait deux jours après ma fin de stage , j’aime à penser que le marionnettiste de Martin s’améliore avec le temps et qu’un jour Martin sera un petit garçon comme les autres…

Antoine PASSERAT, moniteur éducateur, en formation d’éducateur spécialisé.

Rédigé en juin 2011.

Nota bene : lors de ma relecture, je me suis rendu compte que j’avais écrit « que j’ai pu me rencontrer » au lieu de me rendre compte. J’ai corrigé ma faute et me suis rendu compte que finalement cela voulait dire beaucoup de choses.

En effet, on rencontre beaucoup de personnes en tant qu’éducateur, mais pour ma part je me rencontre aussi moi-même.

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Commentaires

etre

et si la rencontre était autre chose qu'un acte professionnel
tout simplement etre une femme ou un homme

les enfants ont besoin de notre regard, de notre sourire