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VOYAGE A LA LIMITE DES MESURES

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GUY HOLDER

jeudi 21 février 2013

Mandataire Judiciaire à la Protection des Majeurs

VOYAGE A LA LIMITE DES MESURES

GUY HOLDER

Bien que les expériences et les formations dont je peux me saisir soient approfondies dans le domaine du travail social, je suis touché par le fait que monsieur C se soit fait renverser en traversant un passage piéton, et, révolté par le délit du conducteur, une fois retrouvé, la confrontation avec ce dernier au service de police me rend agressif. Monsieur D 31ans, particulièrement énervant, agaçant, parfois dangereux, mais aussi attachant, décède à l’issu d’une longue maladie, soignée entre prison et hôpital. Je suis ému et interpellé par les difficultés qu’il a traversées en cherchant une place dans notre société.

25 ans de métier c’est un socle important, dans l’engagement auprès des plus fragiles. J’entretiens avec la culture et la remise en question autour des pratiques, un échange ouvert, qui favorise cette inscription dans la durée.

Le travail en Maison d’Accueil Spécialisée puis en service de psychiatrie m’ont permis d’aborder depuis près de 10 ans, cette fonction de délégué à la tutelle. Avec ces expériences, qui se déclinent avec de l’attention à l’autre, dans des domaines pratiques. Ces rencontres ont parfois trait à notre corps, et, aussi dans des domaines plus symbolique avec la parole. Nous sommes de  « la vie qui parle » et cela structure notre rapport à soi et aux autres.

Je propose à partir de récits et d’expériences issues de ma pratique, de rechercher comment des limites peuvent être questionnées, dans l’exercice des mesures sous l’angle de la théorie psychanalytique et sous l’angle de la loi, et d’en montrer de la compatibilité.

CORPS ET LIMITES

SOINS PSYCHIATRIQUES ET LIMITES

LA MORT COMME LIMITE

LA PRISON, UNE LIMITE A NE PAS FRANCHIR

DES TENSIONS DANS L’EXERCICE

LA LIMITE GRACE A LA NOMINATION

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

CORPS ET LIMITE

La rencontre directe avec les personnes, l’attention à leurs capacités et leurs difficultés propres, leurs besoins et leurs possibilités spécifiques sont au cœur de mon exercice professionnel. Cela m’oblige sans cesse à poser, me poser, et pourquoi pas me reposer des questions autour des limites. L’écriture peut être à cet égard être un outil permettant du recul dans un aller retour entre action et réflexion.

La culture qui me sert de référence vient m’éclairer et, me propose que nos limites impondérables soient issues de notre rapport au corps, à la nature, et aux autres.

Notre corps rend possible l’aventure humaine, mais il y a des limites. Il faut dormir, manger et se mouvoir… Je ne peux pas courir pendant des heures sans m’y être entrainé pendant longtemps. Notre corps a des défaillances, la maladie vient parfois nous rappeler notre long cheminement dans la vie, vers la mort.

L’attention au corps, porté par quelques exemples créé des surprises :

Mme L. m’accompagne dans sa cuisine, la charcuterie de son dernier repas est encore sur la table, l’oxydation est flagrante. Elle la met donc au réfrigérateur, et quant elle l’ouvre, je remarque qu’il contient de nombreux produits surgelés.

Elle me dit : « mais c’est presque la même chose que le congélateur ! ».

Les prises de risque au niveau de l’hygiène alimentaire sont donc parfois présentes et à la limite de la mesure, et un tri des aliments avec la personne s’avère nécessaire. Dire que j’avais envie d’écrire une sorte de guide de mes découvertes gastronomiques dans le cadre de l’exercice des mesures de protection… A mon retour au bureau, j’écris un mail à la personne qui accompagne Mme L. dans le cadre d’un Service d’Accompagnement à la Vie Sociale, pour la tenir informer de ses difficultés.

M. L. à la gendarmerie subit un rappel, les affaires auxquelles il est mêlé, sont en lien avec ses fréquentations. Le gendarme est excédé, M. L. lui réplique que « vraiment il n’a jamais subit une engueulade pareille et qu’en sortant, il fumera un joint énorme pour se remettre ! ».

Pour moi ce que Mme et M. L. s’infligent, c’est de l’ordre d’une prise de risque, voire de la maltraitance envers soi même.

Pour d’autres les alcoolisations massives parfois conjuguées à des prises de médicaments me disent souvent, que quelques personnes cherchent à modifier les limites physiques que le corps puisse supporter. Parfois, pour ne plus sentir la souffrance psychique ou physique, parfois par négligence ou manque d’information.

Bien que le fait de laisser de la nourriture s’avarier, ou, de s’intoxiquer avec un « joint », ces situations nécessitent pour moi un accompagnement pour faire le tri et jeter ce qui est dangereux ou un simple recadrage.

Pour les risques suicidaires imminents, dont j’aurais pu être témoin à quelques minutes près, comme Melle D. qui marche sur la voie de chemin de fer de Strasbourg Bâle. L’article 459 du code civil alinéa 3 me dit que « la personne chargée de la protection des majeurs peut prendre à l’égard de celui-ci les mesures de protection strictement nécessaire pour mettre fin au danger que, du fait de son comportement, l’intéressé ferait courir à lui-même » Si les mesures de protection s’adressent majoritairement aux biens, bon nombre d’entre elles s’adressent également à la personne, l’ordonnance le précise et lors du renouvellement cela est évoqué avec le Juge, le majeur, le certificat médical et les éléments que je peux apporter.

Autour du risque que peut représenter la conduite d’un véhicule en état d’agitation, d’ivresse… la loi vient indiquer la position que je dois avoir pour protéger la personne, quand celle-ci n’arrive pas à prendre les décisions relatives à elle-même. Alors que ces décisions là lui appartiennent habituellement et la loi le réaffirme au début de l’article 459 comme un principe.

La mise en parallèle de la théorie issue de la psychanalyse avec les limites et la loi peuvent pour moi s’inscrire dans une complémentarité. L’intervention d’un autre « faire tiers » dans des cas limites est cadrée, dans le respect de la personne.

SOINS PSYCHIATRIQUES ET LIMITES

Quelques hospitalisations à la demande d’un tiers sont venues émaillées mes liens avec les soins, mais aussi ma réactivité face au mal être des personnes.

Ainsi M. LE. avait détruit l’ensemble de sa vaisselle, la cuisine était inaccessible. De nombreux éléments du mobilier et plusieurs portes ont été réduits en morceaux réguliers de 10 cm sur 10 cm. Les plaintes du voisinage s’étaient empilées durant mes congés, comme un reflet proportionnel à la puissance de l’attaque qu’avait subit M. LE. . Par la suite il m’a expliqué que cette attitude de défense méthodique, était nécessaire pour se protéger.

Je l’ai accompagné aux urgences à l’hôpital jusqu'à ce que le médecin psychiatre l’ait pris en charge et orienté. La remise en état du logement a entrainé une dette importante.

Aujourd’hui il vit en colocation et ses actions méthodiques sont transposées partiellement dans le ménage. Les autres résidents de l’appartement m’ont déjà dit qu’il leur coutait cher en produit d’entretien. Mais en même temps ils sont contents que le ménage soit bien tenu. Avec M. LE. Je dois tenir compte d’une certaine rigidité : pour l’accompagner dans une agence de voyage je suis passé à son domicile où il était en train de nettoyer des éléments de cuisine. J’ai du attendre qu’il ait fini de lessiver le sol parce qu’il ne pouvait pas s’arrêter avant d’avoir terminé cette tâche. Il s’est mis au service de la propreté, c’est accepté socialement. Pour moi il y a cependant toujours une part d’inquiétant dans ce qui pourrait paraitre ici familier. Des échanges avec la personne qui coordonne cette forme d’hébergement nous permettent de relancer notre attention à M. LE. .

Suite à l’hospitalisation sous contrainte de M. H. je prends rendez-vous pour le rencontrer dans le service fermé où il est pris en charge. Des problèmes liés à une demande de logement m’obligent à accepter un rendez-vous en fin d’après midi, alors que mon planning de visite aux majeurs est déjà bien rempli.

La structure pavillonnaire de l’hôpital m’est familière, chaque bâtiment est le fruit d’une recherche architecturale originale du début du XXème siècle. L’ensemble de l’hôpital est très agréablement arboré.

Bien sûr, pour accéder au service, il faut appuyer sur la bonne sonnette, montrer « patte blanche ». Puis monter aux étages et sonner à nouveau. Le système d’ouverture est impressionnant. Je me trouve dans un sas, et l’infirmier contrôle avant de me laisser rentrer. A ce moment là, je me trouve au milieu des patients qui déambulent dans le couloir, et je constate que Mme BI. , pour qui j’exerce une mesure de tutelle, est aussi admise dans ce service !

L’entretien avec M. H. s’engage mal. Il m’interpelle en disant « voilà cet espèce de garde champêtre de mes finances ! ». Il ajoute  « en plus c’est une sorte de trisomique. Je me demande ce que vous faites là. Je n’ai plus de tutelle, c’est le juge qui me l’a dit ! » Je lui réponds « qu’à un chromosome près effectivement, je le suis trisomique ! J’ajoute que pour la mesure de tutelle, je ne suis pas au courant qu’il y ait une décision de main levée ». Un bataillon de noms d’oiseaux et d’autres biens moins courants ondule à mes oreilles.

Je mets un terme à cette ébauche d’entretien. Je sollicite l’infirmier pour pouvoir sortir du service. Mais lorsque je me trouve dans le sas, le soignant me demande si j’ai emmené quelque chose pour la nuit ? Je lui réponds que je n’ai pas ma blouse. Il ajoute « je ne vous parle pas de blouse, mais de pyjama ! »  Et il m’ouvre la porte en riant. Je sors, soulagé d’avoir quitté cette unité. 

Il fait encore jour et j’aime quand la lumière surgit de la confrontation. La tentative de dialogue avec M. H. a été remise. Ce dernier et l’infirmier hilarant, m’ont fait passer une étrange expérience à mes dépends, et m’ont fournit l’occasion… « de confrontation et lumière ». La confrontation je l’entends comme une sorte de joute et la lumière comme l’issue de celle-ci. La rencontre directe n’est pas possible, elle fait naitre chez moi un sentiment diffus. Le sujet ne peut se venir en aide lui-même, des signes de « détresse » peuvent nous parvenir. Si nous sommes sensibles à cela, nous devons aussi être vigilants aux demandes particulièrement fortes qui nous placeraient facilement dans de la toute puissance.

M. La. est retraité. Il est locataire d’une petite copropriété qui parait tranquille dans un village à l’habitat dispersé. Mais celui-ci pose des soucis sérieux au voisinage.

La mesure de protection est issue d’une requête d’un tuteur indépendant, pour qui la poursuite devant les tribunaux de M. La. par son propriétaire, le dépasse et cela l’engage donc dans une passation.

Pour cette personne je dois intervenir d’une part par rapport aux actions en justice qui sont engagées par la copropriété, qui demande une indemnisation et l’expulsion de ce locataire au propriétaire du logement. Mais je dois également agir sur les causes de cette perte de tranquillité du voisinage. Le problème principal réside pour moi dans les cris nocturnes de M. La, celui-ci à peur des renards. Après plusieurs rencontres, au tribunal et chez lui, il m’apprend comment il fait pour avoir moins peur. Il se met au lit et se protège avec ses nombreuses peluches et crie avec les renards. Je l’accompagne chez le médecin du village qu’il venait consulter dans le couloir de son cabinet, mais n’était jamais rentré dans la salle où se déroulent les consultations.

Le généraliste me remercie, il dit ne jamais avoir vu de « tuteur » dans son cabinet. Je lui explique les risques d’expulsion qui sont en lien avec ce que je pense être des hallucinations auditives.

Docteur W. propose à M. La., de consulter un de ses confrères psychiatre, pour cela il rédige un courrier. Monsieur souhaite que je l’accompagne.

Cette situation me rappelle une chanson d’enfant : « Le renard n’est pas méchant, mais quand j’entends siffler le vent, j’aime mieux être dedans, dedans la maison dans les arbres ». Avec une hypothèse que lorsque la vieillesse avance les souvenirs inconscients sont de retour.

Dr B. est investi par Melle D., chez qui elle va régulièrement en consultation. Son psychiatre se fait d’ailleurs son porte parole pour une demande de main levée de mesure de curatelle, au cours d’une hospitalisation. Cette demande vient d’être rejetée par décision de la Juge des Tutelles, conformément à l’avis de l’expertise médicale.

Melle D. retourne vivre à son domicile. J’aurais souhaité qu’une aide ménagère soit mise en place, mais Melle D. me fait savoir par une réaction très vive qu’elle ne veut pas que l’on touche à ses affaires. Que je pense qu’elle n’est pas capable et que je veux la mettre en internat !

Elle envahit régulièrement ma ligne téléphonique pour des aides complémentaires aux sommes attribuées automatiquement. Je vérifie ci cela est compatible et si il y a des disponibilités. Parfois c’est possible et tout se passe bien. Parfois elle doit attendre le mois suivant. Parce que la facture de téléphone est trop importante !

L’imminence, l’urgence de la demande surgit, avec son flot agressif de qualificatifs, pour celui qui est l’interlocuteur pour l’accès à l’argent, et qui est source à ce moment là pour elle, de frustration.

Je mets fin à l’échange et elle rappelle encore et encore, m’injurie, injurie la standardiste…

Pour refaire son appartement régulièrement dégradé, je fais intervenir une micro entreprise et demande d’effectuer du ménage à chaque intervention. Cette personne, est bien acceptée par Melle D. et peut intervenir sur ce terrain difficile.

Ainsi la question de l’aide ménagère reste d’actualité. Des travaux plus importants sont nécessaires : remplacement de tapisserie, des sols.

Une visite par le syndic de copropriété a lieu, pour pouvoir prétendre à une participation des propriétaires.

Melle D. nous ouvre la porte en disant qu’elle ne va pas bien. Le couloir d’accès est envahi par du linge sale et des détritus alimentaires. La cuisinière a vomit et de longues traces s’y sont cristallisées. Un équilibre précaire de vaisselle s’amoncelle. Des cendres et des mégots forment des pyramides sur de nombreuses coupelles.

Tout ceci oblige à un slalom et les chaussures vernies du représentant du syndic ne sont pas particulièrement compatibles avec ce type d’exercices.

Je fais tampon entre le malaise de l’un et le mal être de l’autre.

Quelques semaines après, Melle D. obtient une aide du propriétaire, pour participer aux travaux. Donc feux vert, mais un retard est annoncé par l’entreprise. Cela oblige donc de déplacer la date de la location d’une chambre d’hôtel, d’ailleurs elle ne voulait pas partir en vacances, ni séjourner plus près de chez sa mère.

L’idée de vivre ailleurs pendant quelques jours la déstabilise. Elle dépose une nouvelle demande de main levée de la mesure de curatelle.

Pour cela son docteur écrit  au Juge des Tutelles: elle sait gérer son argent, elle sait faire son ménage, elle n’est pas psychotique, elle n’est plus hospitalisée.

Des signes d’insécurité se manifestent chez Melle D. . Elle fait un scandale auprès du service d’aide à la vie sociale, en sort avec fracas. Le vitrage de la porte d’entrée en conserve pendant longtemps des traces. Puis lors d’une rencontre avec les partenaires, toujours dans le même lieu, il est question de ménage : elle sort à nouveau de manière explosive et achève le vitrage de la porte.

Je rencontre Dr B. Tout d’abord je le remercie pour son attention à la liberté du patient. Mais je lui fais remarquer, son manque d’écoute des partenaires aux prises avec la réalité sociale de la personne, ceci, au détriment d’une attention exclusive à la réalité des fantasmes de Melle D.

Je l’informe que je trouve la demande de main levée de curatelle très déstabilisante pour Melle D et que je fais un courrier au directeur de l’hôpital.

Melle D. est hospitalisée. L’assistante sociale de l’hôpital, écrit au Juge des Tutelles pour dire l’importance et la nécessité de maintenir la mesure de curatelle renforcée pour Melle D. .

Dr B. est patricien hospitalier dans le même service.

Une réunion a lieu, Dr B. est plutôt remonté, une secrétaire lui passe une communication pendant la réunion, il fracasse presque le combiné, tellement il y a de la tension entre lui et moi.

Dr B. : « vous dites que je n’écoute que les fantasmes de Melle D. ! »

Je lui réponds : « nuance, je dis que vous écoutez la réalité de ses fantasmes. Ce qu’elle dit n’est pas forcement vrai, mais c’est comment elle s’accommode de la réalité. Et ça je trouve que c’est un peu limite, de l’écrire au juge, sans le confronter avec les partenaires intervenants auprès de Melle D. »

Je trouve également que cela a un effet de décrédibilisations de la place du curateur, Melle D. me disant que je n’ai rien à lui dire, puisqu’elle ne veut plus de curateur. Elle souhaiterait que ce qu’elle dit soit vrai.

Avec la modification de son chez soi  et le fait qu’elle soit prise dans une volonté de ne plus avoir de mesure de curatelle, elle se retrouve déstabilisée.

Je lui fais une proposition pour qu’elle gère, elle-même, ses dépenses de téléphone, mais elle ne le souhaite pas.

Après de nombreux mois, c’est elle qui a pu prendre l’initiative de la demande d’aide ménagère. A présent il y a une personne qui travaille à son domicile deux heures par semaine.

Henri Michaux :

«  Tu laisses quelqu’un nager en toi, aménager en toi, faire du plâtre en toi et tu veux encore être toi-même ! »

Cela fait ressortir la difficulté d’adapter l’aide à chacun, de recueillir un accord, de ne pas se perdre, ni de se laisser détourner par des conflits interpersonnels. Avec Dr B. j’ai touché cela.

L’orientation de Melle D. vers une prise en charge en internat, est effectivement une possibilité qui me préoccupe. Si elle me le reproche régulièrement en me prêtant le fait que je veuille la mettre en internat, elle me le demande aussi directement, quand elle est dépassée par ce qu’elle vit et les difficultés qu’elle rencontre.

Melle D. a souhaité déménager vers un appartement plus grand. Le logement qu’elle a choisi était compatible avec ses finances. La requête au Juge des Tutelles pour la résiliation du bail, n’a pas posé de difficultés, mais du fait du chauffage électrique, la première facture hivernale a réduit ses possibilités de dépenses de vie courante.

Cet été, la dimension du rejet par le voisinage l’a touche et elle est hospitalisée à ce jour et ne souhaite plus retourner à son domicile ! Elle avait déjà rencontré du rejet, dans son histoire, je me rappelle que je me suis un jour entretenu avec le concierge de la résidence où elle habitait précédemment, celui-ci souhaitait très directement qu’elle soit relogée à la Zup, pour lui vraisemblablement le lieu de l’exclusion.

Ce qui fait limite dans notre existence, c’est une confrontation contre 3 forces : la nature, notre corps et les autres. Nous cherchons un équilibre dans la proportion que nous engageons, pour lutter contre ces trois adversaires en même temps. Si je cherche à restreindre ma lutte avec les autres, je risque de me retrouver isolé.

L’hôpital est un des lieux de lutte pour que les limites, la capacité des corps et aussi sa vie psychique soient bien entretenues, parfois réparées.

De mes rapports avec l’hôpital et aux soins, je tire quelques leçons basées sur une expérience de travail dans ce secteur où l’on soigne parfois séparément le patient, la maladie et le dossier. Cela m’a aidé dans la mise en pratique du métier de délégué à la tutelle où j’ai pu prendre soin des biens d’autrui en plus.

L’idée générale des soins et de la solidarité avec cette recherche d’égalité où chacun cotise selon ses moyens et est soigné selon ses besoins est d’actualité avec la mise en payement proportionné au revenu pour un service individualisé.

LA MORT COMME LIMITE

Une des limites de l’exercice des mesures de protection, c’est le décès de la personne. Il n’y a plus de protection face à la mort.

Concernant M. GA, c’était une des premières mesures que j’ai ouverte et Je l’ai exercé durant plusieurs années et au fils du temps une relation de confiance s’est tissée, avec cette personne.

Il avait été militaire, bien que cette profession ne retienne pas mon enthousiasme, j’ai mis de coté cet apriori.

M. Ga. a la cinquantaine, il est sorti de l’unité de moyen séjour des personnes âgées après un passage dans un service psychiatrique. Précédemment l’alcoolisation massive l’avait mené à la rue.

A présent il habite chez sa mère. Elle le sollicitait pour faire ses courses et promener le caniche. Cette situation m’a toujours fait sourire, parce qu’il avait gardé une allure imposante.

Au vu des difficultés de Monsieur, une faillite civile avait été constituée, comme la législation locale nous le permettait déjà.

Il venait régulièrement à ma permanence, en ayant pris soin de sa personne, toujours très poli. Avec un mot gentil pour les secrétaires. Il commentait l’actualité et faisait de la réclame pour les promotions.

Ensuite, il a pu accéder à un logement, qu’il a aménagé avec débrouillardise, en négociant des meubles d’occasion.

L’annonce d’un cancer ne l’a pas désarçonné psychiquement, il n’a pas recréé de compagnonnage avec l’alcool. Il est mort sobrement, bien avant de pouvoir prétendre à une retraite, et peut être qu’il a su qu’il m’apprenait pour une part mon métier.

Un de mes collègues m’a confié le dossier de M. GO., et donc l’exercice de la mesure. J’ai pris le relais avec des dettes qui me paraissaient titanesques, au vu des ressources. S’ajoutait à cela de factures importantes liées à son déménagement récent.

M. Go., allait être obligé de vivre avec peu matériellement. Une philosophie, une certaine poésie émanait de lui et j’avais beaucoup de plaisir à échanger avec lui.

Je me suis « décarcassé » pour que sa banque revoie ses agios. Puis j’ai constaté qu’il payait par prélèvement l’électricité de son ancien logement en plus de celle, payée sur facture pour son nouveau logement. C’est seulement en mettant en parallèle les deux comptes, que j’ai réagi et mis un terme à cette situation. Les moyens mis à ma disposition, avec le système informatique de contrôle des comptes, m’ont permis de détecter cela.

J’aurai souhaité que M. Go., puisse bénéficier d’une reconnaissance d’une capacité de travail inférieure à 5% du fait de ses soucis de vue, de cœur et ses problèmes psychiques. Mais il n’a pas voulu se présenter au recours auprès de l’instance de l’assurance maladie qui réexamine ces demandes, même si je l’accompagnais. De temps en temps il entendait des voix qui s’adressaient à lui depuis le siphon de son évier de cuisine.

Il est parti en une nuit, seul. Il avait suscité énormément de sympathie autour de lui, avec les auxiliaires de vie et le personnel du service de soins. A sa manière, il nous a fait découvrir l’importance de la parole, pour construire une place de partage et s’est tu.

J’ai rencontré Mme B. dans un appartement sombre avec des poupées accrochées au plafond et des plantes devant les velux. Elle se balançait sur sa chaise peut être parce que le changement de tuteur l’angoissait. Elle me donnait l’impression de ne jamais sortir de son logement.

Ensuite la famille B. a déménagé dans une ferme isolée. Quelques années plus tard j’ai rencontré Madame à l’arrêt du taxi. Elle attendait que son fils revienne du collège. Je me suis assis à ses cotés. J’étais content de la voir à l’extérieur.

Habiter dans une ferme isolée, ne privilégie pas les espaces de rencontre, être humain cela ne se joue pas tout seul. En dehors de son fils et de son mari, elle ne semblait pas avoir noué d’autres relations.

Elle qui avait si peur de la séparation avec son fils, elle est morte subitement. Quel bouleversement pour sa famille. M. B. et son fils se retrouvent seuls, cette situation est préoccupante et je fais mon premier signalement auprès de la CRIPS (Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes et des Signalements) Les services judiciaires et départementaux en partenariat ont formé une unité centralisée pour les signalements de l’enfance en danger.

L’écriture sur des personnes décédées m’a surpris, elle leur redonnait une forme de vie.

Le temps des pertes est dur. Ces personnes ont aussi perdues une place dans notre société et certaines étaient valorisantes. Il y avait même du plaisir et de la reconnaissance qui s’échangeaient. Avec la mort il y a un vide lié à la séparation avec l’autre, jusqu’à ce que nous puissions décaler notre force de vie vers d’autres.

La limitation dans le temps de l’exercice d’une mesure article 441 du code civil vient nous séparer d’une échéance qui finissait trop souvent par la mort et cela redonne une autre dynamique.

LA PRISON UNE LIMITE A NE PAS FRANCHIR

M. D. en est à son 4 ème séjour en prison. Sa prochaine sortie est prévue en 2013. Je dirais qu’il y a chez lui quelque chose qui facilite ou entraine des conduites de transgression sociale. De délits mineurs et d’incivilités en tous genres, il est plutôt impulsif et ça se manifeste en plus de la rencontre directe, par la fréquence des récidives.

Ces dernières années, il s’en prend aux jeunes femmes.

Il y a en parallèle un risque de clochardisation, l’aider à lui trouver un logement est un défi, heureusement « qu’à l’impossible on est tenu ». L’hôpital et la prison sont devenus des repères, sources de stabilité. Lors de mes rencontres avec lui, c’est difficile de rester objectif, de ne pas me laisser aller à un certain laxisme et de ne pas sombrer dans l’agressivité. M. D. suscitant de violentes réactions.

Un cancer des reins, maladie redoutable, vient l’agresser intérieurement et ni les soignants, ni les gardiens de prison ne sont ménagés.

Obtenir un certificat médical pour renouveler la demande d’Allocation d’Adulte Handicapé, à partir d’un service de soin dans un établissement pénitencier me mobilise. La limite des murs qui contient, gêne peut être l’accès à ce droit.

Melle H. a été conduite en prison, suite à des abus de confiance, puis une récidive à propos de chèque volés. Ce manque d’argent reste présent chez elle, et l’a conduit dans cette impasse. Etre avide d’argent et percevoir le RSA, oblige à des mises à distance et comme je ne peux pas délivrer plus d’argent qu’il y a, Melle H. doit faire un cheminement personnel pour trouver des issus acceptables socialement et en accord avec elle-même.

La parole et les rappels à la loi sur convocation ne sont pas entendus ou sont évités. Melle H., ne se présente pas et déclare ne pas avoir reçu les courriers.

Cette fois la sanction est tombée, cela donne du poids à la parole. La contrainte fait limite.

J’ai prévenu l’ex-mari par rapport à l’exercice des droits de garde des enfants. Il ne pouvait pas les lui confier pendant un temps. En accord avec le Service Pénitentiaire d’Insertion de Probation, nos services ont également participé à la constitution d’un dossier pour une demande de transformation de peine par des bracelets électroniques à son domicile.

DES TENSIONS DANS L’EXERCICE

Quand j’interviens pour une personne, je ne suis pas toujours le bien venu. C’est assez sensible quand je suis en visite à domicile, surtout dans le premier temps de la rencontre. De part ma présence, je peux rappeler le handicap, la difficulté de faire entièrement par soi- même, et ça, je le partage aussi avec les autres professions d’aide.

Dans la vie de la mesure, il peut y avoir des moments de tension entre le majeur protégé et moi.

Melle F. demande que je débloque 600 € de son compte épargne. Elle demande 400 € pour payer un mois de loyer, le propriétaire a menacé le couple nouvellement reconstitué, d’engager leur expulsion s’ils ne payaient pas cette somme. Melle F. souhaite également 200€ pour l’achat d’un sommier neuf.

La semaine suivante le sommier n’était plus nécessaire. Melle F. me dit s’être débrouillée autrement. Les 200€ sont restés sur le compte individualisé, celui-ci est donc créditeur, alors que durant ces dernières années, les recettes et les dépenses étaient en équilibre précaire. Il y avait une marge de manœuvre très limitée, beaucoup de restriction, le RSA seul ou le RSA couple, oblige à des mises à distance, des renoncements. L’origine de l’épargne n’est pas liée à un virement régulier de sommes non dépensées, le budget tel que nous l’élaborons ensemble ne le permettrait pas.

La nécessité du sommier refait son apparition : il y aurait une offre à C. et quelqu’un de sa famille pourrait se charger de la livraison.

Je rédige le document permettant l’achat avec une facturation adressée à nos services au nom de Melle F.

Mais ce n’est pas ce qu’elle veut. Elle souhaite l’argent en liquide, parce qu’elle n’a pas vraiment besoin de ce sommier, elle a reçu un clic-clac. Elle me rappelle : « Je sais me débrouiller, moi !». En fait, elle voudrait s’acheter des semelles orthopédiques. Elle a une ordonnance, mais me dit qu’elle ne peut pas se les payer.

« Et pourquoi me raconter une histoire de sommier alors ? » Lui fais-je remarquer.

Silence puis colère. Elle a aussi besoin d’habit, et « en a mare » de cette mesure de curatelle. Elle trouve que ça fait trop longtemps et dit qu’elle va la faire enlever !

Pour se faire, je lui rappelle donc que le médecin se prononce, le juge ordonne et moi j’essaie d’appliquer au mieux . 

La loi du 5 mars 2007 entrée en vigueur le 1 er janvier 2009 vient créer une limite. Les bénéficiaires de mesure de protection juridique ne peuvent l’être qu’en raison d’une altération médicalement constatée. Le médecin a donc une place importante dans le dispositif législatif mis en place par le juge, celui–ci s’appuie sur la loi, l’avis médical et l’échange avec la personne.

A l’issu de cet entretien, Mlle F a une autorisation pour des acquisitions vestimentaires et pédagogiques pour l’un de ses trois enfants, grâce à la prime de rentrée scolaire. Un mot pour le magasin de matériel médical demandant une indication du coût restant à sa charge et une autorisation de retrait à sa banque de 100€ pour ses habits.

Au moment de partir elle me dit que le sommier pourrait être tout de même envisageable parce que ça ne se passe pas très bien dans le couple et qu’elle dort sur leur ancien lit, dont le sommier est abimé.

Les histoires à rebondissement font aussi parties du travail « au long cours » avec cette personne. Je ne pense pas que le sommier neuf puisse les atténuer, je dois faire avec ce qu’elle me propose, et voir avec elle, les priorités. C’est pourquoi j’explique à Melle F., que je suis aussi soumis à des décisions qui viennent d’ailleurs.

Quand elle dit vouloir se débarrasser de moi, sur le champ ! Il y a des éléments de réponse, entre ce qu’elle veut matériellement et ce que son budget lui permet, conjugué à l’exercice de la mesure, cela l’oblige parfois à revoir les priorités. Ainsi que l’ordre dans lequel elle peut y accéder. Pour elle il faut que cela puisse trouver une issue, et l’issue première qui nous traverse tous, est toujours la plus rapide vers la satisfaction.

Le fait que je sois soumis à d’autres instances, comme la loi, liée à la commande judiciaire, me permet aussi d’introduire du tiers et de faire limite.

Parfois les demandes sont très  brutes : « tout le monde l’a »,  « je l’ai vu, je le veux »… L’accès à l’objet peut être repris avec la personne, un peu mis à distance, parfois discuté, mais aussi rendu possible. Le rêve d’une voiture, un séjour de vacances, la mise en peinture d’un appartement, l’achat de meubles neufs, peuvent concourir à une qualité de vie en adéquation avec l’originalité de leur expression, et de la manière dont ils mènent leur existence. La loi me situe dans une place d’intermédiaire pour permettre l’accès à son argent dans la proximité de l’écoute et avec le recul et la distance pour la gestion.

Généralement entre ce que le majeur veut et la loi, il y a du conflit. La loi selon quelques idées issues de la psychanalyse, est là pour limiter « la folie du désir ».

La préparation de Noël est pour les familles alsaciennes, un temps fort de l’année. M. B. est bénéficiaire d’une mesure de curatelle renforcée. Au vu de sa situation j’avais informé le juge des tutelles et ce dernier s’en était saisi. C’était avant la modification de la loi. C’était suite à un déménagement à la « cloche de bois » et à son initiative. Il a laissé des impayés de loyer, et d’autres faits qui engageaient les revenus de la famille dans lesquels sa contribution n’apparaissait pas.

Mme B. est bénéficière d’une mesure de tutelle et assure par ses ressources, issues d’une allocation pour adulte handicapé, l’apport financier de sa famille. Ils ont un garçon, pour qui les activités, les séjours et l’école, en dehors de sa famille ne sont pas faciles. Il y a des difficultés chez l’enfant, mais aussi une réticence partagée, de la mère, dans la séparation. Le père ne se positionne pas, il est sans affirmation et sans soutien. C’est l’enfant qui décide, et ce dernier est bien entravé.

J’ai effectué des démarches pour que leur fils aille au centre aéré. Bien que les parents aient compris, que grâce à ce type de prise en charge, leur garçon pourrait effectuer des activités qu’ils ne proposent pas :   aller à la piscine, jouer avec d’autres enfants. Il a fallu deux années pour les convaincre. Mais lorsqu’ils ont enfin acceptés, le jeune a été refusé car il avait des poux.

Avec une action conjuguée de l’AEMO et de notre service des tutelles, l’enfant a quand même pu partir une fois en séjour pour faire du poney. Lorsque le collège a organisé des classes de mer, cela a posé à nouveau des problèmes avec cette résistance, réticence.

J’ai également effectué des demandes régulières d’aide au fond de solidarité, pour une prise en charge partielle du coût du chauffage, leur situation financière étant précaire. La loi d’orientation relative à la lutte des exclusions, rappel cet impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains est une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la nation. Cette compétence en matière d’aide par le Fond de Solidarité Energie a été transférée au conseil général. C’est donc à eux que j’adresse ce dossier de demande d’aide. La connaissance du budget, du lieu de vie et de la problématique familiale me permette d’argumenter au mieux la constitution de ce dossier. M. et Mme B. le signeront.

Leur fils n’a pas de vélo, il souhaite un VTT. Les parents m’en font part et nous regardons ensemble. Le premier prix chez D... est accessible. Toutefois les parents doivent réduire le montant du cadeau pour leur fille placée dans une famille d’accueil, ainsi que le budget des repas de Noël et de nouvel an. Là, la situation devient plus tendue.

Le véhicule de service est resté coincé dans la neige. M. B et son fils acceptent de m’aider pour dégager le véhicule bloqué, dans le chemin d’accès à leur maison isolée. Sur le ton de la plaisanterie, je précise que sinon je serai leur invité obligé pour Noël, mais là je suis le seul à sourire ! 

Mais j’aime cette solidarité de montagne face aux limites imposées par la nature, nous avons bien transpiré et je les remercie de m’avoir aidé.

Dans mon voyage à la limite des mesures, c’est celle qui est à ce jour, la plus éloignée de mon bureau. Pour eux, la lutte contre la nature occupe beaucoup de leurs énergies avec les conditions climatiques plus rudes.

LA LIMITE GRACE A LA NOMINATION

Depuis plusieurs années, j’interviens dans un institut de formation, auprès d’auxiliaires de vie sociale, pour présenter le cadre législatif dans lequel j’interviens et quelques éléments issus de ma pratique. L’information que je dispense porte sur : « Les mesures de tutelle ».

J’essaye de répondre modestement à deux questions :  

Je rêve d’un jour où je dépose le livre rouge du code civil sur le bureau avant de prendre la parole, car il s’agit pour moi de donner des éléments qui permettent au public de comprendre comment ça marche, de pouvoir s’en saisir pour soi même, pour ses proches, et dans le cadre professionnel, introduire du partenariat, par la compréhension de la place de l’autre.

La loi ce n’est pas seulement pour punir, c’est aussi pour organiser la vie en société, par exemple :

Le droit qui concerne les mesures de protection pour les majeurs me parait accessible : il est écrit dans une langue française qui est proche de la langue usuelle. Pour moi, c’est du droit social dans le sens où c’est pour aider les personnes les plus fragiles. Protéger peut bien sûr, être mis en balance avec liberté : La protection induit une dose de perte de liberté. Si je ne peux plus disposer directement de mon compte dépôt, je perds en liberté. Et ces démarches, doivent être cadrées, contrôlées et limitées.

J’ai pu constater que quant une personne proche ne peut plus faire face aux obligations quotidiennes, le besoin d’intervenir pour y suppléer est quand même relativement courant. Mais les procédures à entreprendre et les responsabilités qui sont engendrées, effrayent. Aider quelqu’un, n’est pas simple.

J’aime bien tracé un trait vertical pour séparer les mesures judiciaires, des mesures sociales.

Du coté judiciaire cela s’adresse à des personnes pour lesquelles une altération médicale est reconnue.

Du coté social cela s’adresse aux autres personnes qui sont en difficulté budgétaire.

J’apprécie que dans la nouvelle loi, l’aspect médico-social des mesures de protection soit mis en avant, avec ce tiret qui fait séparation entre médico et social, mais aussi liaison.

L’héritage des tutelles n’était pas toujours très heureux et la disparition du terme « les incapables majeurs » a bien marqué l’évolution de la loi avec ce rapport à la nomination induisant plus de respect.

En plus, je pensais que majeur, c’était comme dans risque majeur, que ça faisait prendre toute la place à incapable avec gravité et qu’il n’y avait presque plus de place pour capable.

Au sujet du terme « incapable » je suis également sensible au questionnement que ce terme implique, était-il signe d’une désocialisation qui renforce l’exclusion ? Dans notre recherche de comment qualifier l’autre celui qui n’est pas comme nous ! Heureusement qu’un postulat éthique personnel me dit que « le sujet est toujours quelque part ».

Prodigalité intempérance et oisiveté se sont envolés. Les mesures de protection, restent des solutions graves, avec cette part d’ingérence dans la vie des personnes pour gérer les biens en cas de perte de faculté. Toucher à l’argent de la personne reste un domaine sensible, et le conflit peut apparaitre rapidement.

L’abus de pouvoir aussi, et c’est un risque. Néanmoins cette éventualité est prise en compte dans le dispositif de contrôle, avec une révision des mesures, des évaluations internes et externes dans le service pour lequel je travaille.

Je pense que le dispositif mis en place durant 2 années complètes, d’un travail de groupe en analyse des pratiques, à permis que ce « risque professionnel » soit parlé, analysé dans le respect de l’autre et la discrétion de ce travail.

La période de formation a apporté une ouverture culturelle, des découvertes et a permis l’écoute et l’échange pour une nouvelle appropriation de l’exercice des mesures.

Presque deux années de grâce, avec la baisse du nombre de mesure exercée par chacun qui a été engagé un peu auparavant et quelques dispositifs impliquant un travail plus qualitatif.

Je suis pourtant dans l’expectative par rapport au positionnement de mon service dans l’aide et le soutien au travail de mandataire et à la mise à distance, à l’analyse nécessaire par une mise en mot de l’inouï de cette pratique de la rencontre, du soutien de l’autre et à la gestion de ses biens. Les groupes d’analyse des pratiques ont été suspendus pendant une longue période.

Même si les effets directs sont difficilement démontrable, je crois que grâce à la culture, nous pouvons faire diminuer la part de violence que nous sommes capable de faire subir à l’autre.

Le travail de mandataire relève pour une grande part d’une expérience qui fait savoir, d’où l’importance de parler de cette pratique.

Dans la loi qui encadre les mesures de protection des majeurs protégés, La personne protégée est, et préserve son humanité, alors qu’avec incapable on s’en éloignait.

Evoquer les limites parfois les troubles ce n’est pas sans penser à la totalité de l’être, d’un point de vue philosophique. Mais aussi le sujet issu de la théorie psychanalytique et celui de la personne comme la loi et l’usage nous invitent à la rencontrer. La nomination et le langage en tant que socle commun à la loi et la théorie psychanalytique permettent entre autre d’enrichir et de structurer mon travail par ce biais. L’évolution de la loi est marquée par l’évolution du langage, et l’enjeu du respect et de la dignité s’y inscrivent aussi.

La réforme de la loi, grâce au vocabulaire permet une avancé de la considération. Mais donne également un cadre à nos interventions. La loi est un soutien « aux tuteurs », mais aussi un rappel des principes comme le respect des libertés individuelles, la non discrimination, la liberté des relations personnelles…se sont des fondamentaux qui me font travailler vers plus de qualité.

CONCLUSION

Ainsi des expériences parfois atypiques me permettent de prendre des décisions négociées avec les personnes qui sont bénéficiaires des mesures. J’aime aussi travailler avec le soutien de l’équipe, à une place intermédiaire entre ma hiérarchie et le majeur, mais aussi avec le Juge des Tutelles et le majeur, tout en tenant compte des politiques et de l’environnement social.

La mesure de protection peut dépasser parfois l’utilitaire tout en cherchant à rester juste à l’égard d’autrui.

Je ne pense pas, que ce soit facile de s’en sortir tout seul, avec de gros problèmes d’argent et des aides compliquées à obtenir. S’en sortir tout seul, c’est mener une lutte incessante et vaincre sans médaille. C’est mener une bataille contre soi même, et il y a de l’héroïsme dans l’ordinaire.

La dépendance est un enfer, l’abstinence en devient parfois un autre. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de soigner à tout pris, la tolérance zéro ce n’est pas « génial ». Par exemple les personnes alcooliques sont des hommes, des femmes vulnérables qui rencontrent parfois leurs limites et le bout, du bout du bout peut parfois servir de ressort.

Je trouve que toute manière de chantage, par rapport aux personnes vulnérables, disqualifie le sujet et est inopérante. C’est souvent de la toute puissance cachée derrière de la bienveillance. De la mesure en toute chose, n’est peut être pas facile.

Faire appel aux autres, peut s’avérer nécessaire, si on est un peu limité ou fatigué d’être soi ou que nos performances ne sont plus au « top ».

Cette lutte contre son corps, contre la nature et les autres est difficile à mener, en plus ma condition humaine, mène également une lutte interne permanente comme le dit si bien « Grand corps malade » « entre mon cœur, ma tête et mes couilles ça se discute, ça se bagarre, chaque élément essaye d’imposer sa loi et ça créé des embrouilles… ».

Les limites de la mesure s’inscrivent aussi dans « à qui on s’adresse ». Les mesures de protections sont faites pour les personnes vulnérables, les problèmes liés au grand âge, le handicap, la maladie mentale ne sont pas très loin.

Le temps de la mesure, ça pourrait faire une belle musique mais c’est souvent un constat de manque qui fait écho, avec le réveil d’une petite angoisse de ne pas arriver à être disponible et traiter tout ce qui m’est demandé « même en pédalant plus vite que le vent, de visiter toute l’immensité d’un si grand univers, pas le temps … » Michel Fugain 

Avec toutes ses limites se dessine une relance du consentement aux manques, et de chercher ou de provoquer cette relance en restant inscrit dans les contraintes sociales de l’interdépendance.

Le métier de mandataire judiciaire ne s’improvise pas. Je n’invente pas des actes, je les découvre. Grâce à une équipe, grâce a des références théoriques, législatives et des dispositifs d’aide, je ne soulage pas les personnes bénéficiant d’une mesure de protection, en « cousant » avec elles, car elles ne réapprennent pas « les bonnes manières » de penser, d’agir, de dire ou de rien faire si facilement. Mon principal outil c’est la « médiation », dans la prise en compte de la parole des personnes et de celle de l’entourage, dans les aspects objectifs et subjectifs.

Mon travail s’inscrit dans la construction et l’accompagnement dans un projet avec le souci d’une continuité psychique, familial et social qui oriente toute notre équipe.

La disponibilité est une des pierres angulaire de la relation, bien sur il m’arrive de traiter l’agitation mais aussi de la renvoyer vers des partenaires avec le moins de contention possible.

Ma capacité empathique est sollicitée, pour pouvoir entendre et me représenter les difficultés de l’autre, avec ses avatars, les ruptures, le rejet et l’oubli qui peuvent engendrer une angoisse diffuse, qui désorganise et peut mener à la violence.

Certains majeurs restent devant la télévision, laissent les fonds de casserole moisir, les factures impayées, le linge en souffrance. Un des problèmes important c’est que ça coute, et là aussi il y a des limites. Notre service est souvent le prolongement d’un lieu d’accueil, de soins, de l’hôpital, dans les allés et venus des majeurs protégés.

Il s’agit pour moi, de prendre en compte cette réalité pour aller vers une intervention douce, pour aller vers des personnes qui présentent parfois des troubles mentaux qui mettent en questionnement le fonctionnement global de la personne dans sa dimension sociale. A la limite entre un monde social et celui du risque de l’exclusion, il y a un peu de ce travail de passeur vers le monde social.

La posture que j’ai choisi de tenir, c’est de ne pas être hors la loi, ni de sans cesse rappeler la loi, mais lors des petites choses du quotidien c’est de rappeler que « vivre avec les autres c’est obéir à des lois » et c’est peut être un des moyens les plus importants du travailleur social dans un service de tutelle.

De mon bureau encombré, j’aimerai citer un extrait de Tarun J. Tejpal.

Nous nous berçons d’illusion sur la belle ordonnance de la vie… aucune vie, grande ou petite, n’est bien ordonnée. Ce n’est qu’une illusion follement poursuivie par les hommes.

Toutes les vies vécues sont une pagaille ».

Bibliographie

Sigmund FREUD, Le malaise dans la culture, collection quadrige PUF, 2004

L’inquiétante étrangeté et autres essais,Folio essais, 1985

Henri MICHAUD, Poteaux d’angle, poésie Gallimard, 1981

Joseph ROUZEL, cours et conférences 2007/2009 et le site de psychasoc

UNAFOR, Les contours et limites de l’intervention - Quelques réponses de la loi de 2007 publié en 2010

Charlotte HERFRAY, La psychanalyse hors les murs, Desclée de Brouwer, 1993

René MONAMI, Intervention sur les troubles psychiatriques et comportementaux, 2011

Laurence PECAUT-RIVOLIER, Protéger un majeur vulnérable, Delmas, 2010

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